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MOLL FLANDERS

d’abord à m’entretenir, pourtant je ne devais point être surprise s’il était forcé de me dire qu’il ne pouvait se permettre de me revoir, et qu’en vérité je ne pouvais l’espérer.

J’écoutai cette dernière partie avec quelques signes de surprise et de trouble, et je me retins à grand’peine de pâmer, car vraiment je l’aimais jusqu’à l’extravagance ; mais il vit mon trouble, et m’engagea à réfléchir sérieusement, m’assura que c’était la seule manière de préserver notre mutuelle affection ; que dans cette situation nous pourrions nous aimer en amis, avec la plus extrême passion, et avec un amour d’une parfaite pureté, libres de nos justes remords, libres des soupçons d’autres personnes ; qu’il me serait toujours reconnaissant du bonheur qu’il me devait ; qu’il serait mon débiteur tant qu’il vivrait, et qu’il payerait sa dette tant qu’il lui resterait le souffle.

Ainsi, il m’amena, en somme, à une espèce d’hésitation, où je me représentais tous les dangers avec des figures vives, encore forcées par mon imagination ; je me voyais jetée seule dans l’immensité du monde, pauvre fille perdue, car je n’étais rien de moins, et peut-être que je serais exposée comme telle ; avec bien peu d’argent pour me maintenir, sans ami, sans connaissance au monde entier, sinon en cette ville où je ne pouvais prétendre rester. Tout cela me terrifiait au dernier point, et il prenait garde à toutes occasions de me peindre ces choses avec les plus sinistres couleurs ; d’autre part, il ne manquait pas de me mettre devant les yeux la vie facile et prospère que j’allais mener.

Il répondit à toutes les objections que je pouvais faire,