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MOLL FLANDERS

où j’ai interrompu. Le frère aîné étant venu à bout de moi, son premier soin fut d’entreprendre sa mère ; et il ne cessa qu’il ne l’eût amenée à se soumettre, passive au point de n’informer le père qu’au moyen de lettres écrites par la poste ; si bien qu’elle consentit à notre mariage secret et se chargea d’arranger l’affaire ensuite avec le père.

Puis il cajola son frère, et lui persuada qu’il lui avait rendu un inestimable service, se vanta d’avoir obtenu le consentement de sa mère, ce qui était vrai, mais n’avait point été fait pour le servir, mais pour se servir soi-même ; mais il le pipa ainsi avec diligence, et eut tout le renom d’un ami fidèle pour s’être débarrassé de sa maîtresse en la mettant dans les bras de son frère pour en faire sa femme. Si naturellement les hommes renient l’honneur, la justice et jusqu’à la religion, pour obtenir de la sécurité !

Il me faut revenir maintenant au frère Robin, comme nous l’appelions toujours, et qui, ayant obtenu le consentement de sa mère, vint à moi tout gonflé de la nouvelle, et m’en dit l’histoire avec une sincérité si visible que je dois avouer que je fus affligée de servir d’instrument à décevoir un si honnête gentilhomme ; mais il n’y avait point de remède, il voulait me prendre, et je n’étais pas obligée de lui dire que j’étais la maîtresse de son frère, quoique je n’eusse eu d’autre moyen de l’écarter ; de sorte que je m’accommodai peu à peu, et voilà que nous fûmes mariés.

La pudeur s’oppose à ce que je révèle les secrets du lit nuptial ; mais rien ne pouvait être si approprié à ma situation que de trouver un mari qui eût la tête si brouil-