Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/161

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et se termina en un commun mouvement de joie de se retrouver en vie[1], sans la moindre réflexion sur la bonté signalée de la main qui m’avait préservé, qui m’avait mis à pan pour être préservé, tandis que tout le reste avait péri ; je ne me demandai pas même pourquoi la Providence avait eu ainsi pitié de moi. Ce fut une joie toute semblable à celle qu’éprouvent communément les marins qui abordent à terre après un naufrage, dont ils noient le souvenir dans le premier bowl de punch, et qu’ils oublient presque aussitôt qu’il est passé. — Et tout le cours de ma vie avait été comme cela !

Même, lorsque dans la suite des considérations obligées m’eurent fait connaître ma situation, et en quel horrible lieu j’avais été jeté hors de toute société humaine, sans aucune espérance de secours, et sans aucun espoir de délivrance, aussitôt que j’entrevis la possibilité de vivre et que je ne devais point périr de faim, tout le sentiment de mon affliction s’évanouit ; je commençai à être fort aise : je me mis à travailler à ma conservation et à ma subsistance, bien éloigné de m’affliger de ma position comme d’un jugement du Ciel, et de penser que le bras de Dieu s’était appesanti sur moi. De semblables pensées n’avaient pas accoutumé de me venir à l’esprit.

La croissance du blé, dont j’ai fait mention dans mon journal, eut premièrement une petite influence sur moi ; elle me toucha assez fortement aussi long-temps que j’y crus voir quelque chose de miraculeux ; mais dès que cette idée tomba, l’impression que j’en avais reçue tomba avec elle, ainsi que je l’ai déjà dit.

Il en fut de même du tremblement de terre, quoique

  1. A mere common flight of joy ; un lumignon aussitôt éteint qu’allumé. Traduction de Saint-Hyacinthe.