Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/262

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Quand j’arrivai à mon château, car c’est ainsi que je le nommai toujours depuis lors, je m’y jetai comme un homme poursuivi. Y rentrai-je d’emblée par l’échelle ou par l’ouverture dans le roc que j’appelais une porte, je ne puis me le remémorer, car jamais lièvre effrayé ne se cacha, car jamais renard ne se terra avec plus d’effroi que moi dans cette retraite.

Je ne pus dormir de la nuit. À mesure que je m’éloignais de la cause de ma terreur, mes craintes augmentaient, contrairement à toute loi des choses et surtout à la marche, ordinaire de la peur chez les animaux. J’étais toujours si troublé de mes propres imaginations que je n’entrevoyais rien que de sinistre. Quelquefois je me figurais qu’il fallait que ce fût le diable, et j’appuyais cette supposition sur ce raisonnement : Comment quelque autre chose ayant forme humaine aurait-elle pu parvenir en cet endroit ? Où était le vaisseau qui l’aurait amenée ? Quelle trace y avait-il de quelque autre pas ? et comment était-il possible qu’un homme fût venu là ? Mais d’un autre côté je retombais dans le même embarras quand je me demandais pourquoi Satan se serait incarné en un semblable lieu, sans autre but que celui de laisser une empreinte de son pied, ce qui même n’était pas un but, car il ne pouvait avoir l’assurance que je la rencontrerais. Je considérai d’ailleurs que le diable aurait eu pour m’épouvanter bien d’autres moyens que la simple marque de son pied ; et que, lorsque je vivais tout-à-fait de l’autre côté de l’île, il n’aurait pas été assez simple pour laisser un vestige dans un lieu où il y avait dix mille à parier contre un que je ne le verrais pas, et qui plus est, sur du sable où la première vague de la mer et la première rafale pouvaient l’effacer totalement. En un mot, tout cela me semblait contradictoire