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père ferait mieux de me donner son consentement que de me placer dans la nécessité de passer outre. Maintenant, je suis âgé de dix-huit ans, il est trop tard pour que j’entre apprenti dans le commerce ou clerc chez un procureur ; si je le faisais, je suis certain de ne pouvoir achever mon temps, et avant mon engagement rempli de m’évader de chez mon maître pour m’embarquer. Si vous vouliez bien engager mon père à me laisser faire un voyage lointain, et que j’en revienne dégoûté, je ne bougerais plus, et je vous promettrais de réparer ce temps perdu par un redoublement d’assiduité. »

Cette ouverture jeta ma mère en grande émotion : — « Cela n’est pas proposable, me répondit-elle ; je me garderai bien d’en parler à ton père ; il connaît trop bien tes véritables intérêts pour donner son assentiment à une chose qui te serait si funeste. Je trouve étrange que tu puisses encore y songer après l’entretien que tu as eu avec lui et l’affabilité et les expressions tendres dont je sais qu’il a usé envers toi. En un mot, si tu veux absolument aller te perdre, je n’y vois point de remède ; mais tu peux être assuré de n’obtenir jamais notre approbation. Pour ma part, je ne veux point mettre la main à l’œuvre de ta destruction, et il ne sera jamais dit que ta mère se soit prêtée à une chose réprouvée par ton père. »

Nonobstant ce refus, comme je l’appris dans la suite, elle rapporta le tout à mon père, qui, profondément affecté, lui dit en soupirant : — « Ce garçon pourrait être heureux s’il voulait demeurer à la maison ; mais, s’il va courir le monde, il sera la créature la plus misérable qui ait jamais été : je n’y consentirai jamais. »

Ce ne fut environ qu’un an après ceci que je m’échappai, quoique cependant je continuasse obstinément à res-