Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/330

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ils avaient été mis en réserve, et qu’alors on faisait sortir pour être massacrés. J’en vis aussitôt tomber un assommé, je pense, avec un casse-tête ou un sabre de bois, selon l’usage de ces nations. Deux ou trois de ces meurtriers se mirent incontinent à l’œuvre et le dépecèrent pour leur cuisine, pendant que l’autre victime demeurait là en attendant qu’ils fussent prêts pour elle. En ce moment même la nature inspira à ce pauvre malheureux, qui se voyait un peu en liberté, quelque espoir de sauver sa vie ; il s’élança, et se prit à courir avec une incroyable vitesse, le long des sables, droit vers moi, j’entends vers la partie de la côte où était mon habitation.

Je fus horriblement effrayé, — il faut que je l’avoue, — quand je le vis enfiler ce chemin, surtout quand je m’imaginai le voir poursuivi par toute la troupe. Je crus alors qu’une partie de mon rêve allait se vérifier, et qu’à coup sûr il se réfugierait dans mon bocage ; mais je ne comptais pas du tout que le dénouement serait le même, c’est-à-dire que les autres Sauvages ne l’y pourchasseraient pas et ne l’y trouveraient point. Je demeurai toutefois à mon poste, et bientôt je recouvrai quelque peu mes esprits lorsque je reconnus qu’ils n’étaient que trois hommes à sa poursuite. Je retrouvai surtout du courage en voyant qu’il les surpassait excessivement à la course et gagnait du terrain sur eux, de manière que s’il pouvait aller de ce train une demi-heure encore il était indubitable qu’il leur échapperait.

Il y avait entre eux et mon château la crique dont j’ai souvent parlé dans la première partie de mon histoire, quand je fis le sauvetage du navire, et je prévis qu’il faudrait nécessairement que le pauvre infortuné la passât à la nage ou qu’il fût pris. Mais lorsque le Sauvage échappé eut atteint jusque là, il ne fit ni une ni deux, malgré la ma-