Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/36

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vais difficilement rentrer dans mon premier repentir, que j’avais si manifestement foulé aux pieds, et contre lequel je m’étais endurci. Je pensais que les affres de la mort étaient passées, et que cet orage ne serait rien, comme le premier. Mais quand, près de moi, comme je le disais tantôt, le capitaine lui-même s’écria : — « Nous sommes tous perdus ! » — je fus horriblement effrayé, je sortis de ma cabine et je regardai dehors. Jamais spectacle aussi terrible n’avait frappé mes yeux : l’océan s’élevait comme des montagnes, et à chaque instant fondait contre nous ; quand je pouvais promener un regard aux alentours, je ne voyais que détresse. Deux bâtiments pesamment chargés qui mouillaient non loin de nous avaient coupé leurs mâts rez-pied ; et nos gens s’écrièrent qu’un navire ancré à un mille de nous venait de sancir sur ses amarres. Deux autres vaisseaux, arrachés à leurs ancres, hors de la rade allaient au large à tout hasard, sans voiles ni mâtures. Les bâtiments légers, fatiguant moins, étaient en meilleure passe ; deux ou trois d’entre eux qui dérivaient passèrent tout contre nous, courant vent arrière avec leur civadière seulement.

Vers le soir, le second et le bosseman supplièrent le capitaine, qui s’y opposa fortement, de laisser couper le mât de misaine ; mais le bosseman lui ayant protesté que, s’il ne le faisait pas, le bâtiment coulerait à fond, il y consentit. Quand le mât d’avant fut abattu, le grand mât, ébranlé, secouait si violemment le navire, qu’ils furent obligés de le couper aussi et de faire pont ras.

Chacun peut juger dans quel état je devais être, moi, jeune marin, que précédemment si peu de chose avait jeté en si grand effroi ; mais autant que je puis me rappeler de si loin les pensées qui me préoccupaient alors, j’avais dix fois plus que la mort en horreur d’esprit,