Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/371

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diriger et faire virer ma pirogue au moyen de la barre, et quand il vit ma voile trélucher et s’éventer, tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, suivant que la direction de notre course changeait ; alors, dis-je, il demeura là comme un étonné, comme un ébahi. Néanmoins en peu de temps je lui rendis toutes ces choses familières, et il devint un navigateur consommé, sauf l’usage de la boussole, que je ne pus lui faire comprendre que fort peu. Mais, comme dans ces climats il est rare d’avoir un temps couvert et que presque jamais il n’y a de brumes, la boussole n’y est pas de grande nécessité. Les étoiles sont toujours visibles pendant la nuit, et la terre pendant le jour, excepté dans les saisons pluvieuses ; mais alors personne ne se soucie d’aller au loin ni sur terre, ni sur mer.

J’étais alors entré dans la vingt-septième année de ma Captivité dans cette île, quoique les trois dernières années où j’avais eu avec moi mon serviteur Vendredi ne puissent guère faire partie de ce compte, ma vie d’alors étant totalement différente de ce qu’elle avait été durant tout le reste de mon séjour. Je célébrai l’anniversaire de mon arrivée en ce lieu toujours avec la même reconnaissance envers Dieu pour ses miséricordes ; si jadis j’avais eu sujet d’être reconnaissant, j’avais encore beaucoup plus sujet de l’être, la Providence m’ayant donné tant de nouveaux témoignages de sollicitude, et envoyé l’espoir d’une prompte et sûre délivrance, car j’avais dans l’âme l’inébranlable persuasion que ma délivrance était proche et que je ne saurais être un an de plus dans l’île. Cependant je ne négligeai pas mes cultures ; comme à l’ordinaire je bêchai, je semai, je fis des enclos ; je recueillis et séchai mes raisins, et m’occupai de toutes choses nécessaires, de même qu’auparavant.