Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/380

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Tandis que mon serviteur Vendredi tiraillait, je pris mon couteau et je coupai les glayeuls qui liaient le pauvre prisonnier. Ayant débarrassé ses pieds et ses mains, je le relevai et lui demandai en portugais qui il était. Il répondit en latin : Christianus. Mais il était si faible et si languissant qu’il pouvait à peine se tenir ou parler. Je tirai ma bouteille de ma poche, et la lui présentai en lui faisant signe de boire, ce qu’il fit ; puis je lui donnai un morceau de pain qu’il mangea. Alors je lui demandai de quel pays il était : il me répondit : Español. Et, se remettant un peu, il me fit connaître par touts les gestes possibles combien il m’était redevable pour sa délivrance. — « Señor, lui dis-je avec tout l’espagnol que je pus rassembler, nous parlerons plus tard ; maintenant il nous faut combattre. S’il vous reste quelque force, prenez ce pistolet et ce sabre et vengez-vous. » — il les prit avec gratitude, et n’eut pas plus tôt ces armes dans les mains, que, comme si elles lui eussent communiqué une nouvelle énergie, il se rua sur ses meurtriers avec furie, et en tailla deux en pièces en un instant ; mais il est vrai que tout ceci était si étrange pour eux, que les pauvres misérables, effrayés du bruit de nos mousquets, tombaient de pur étonnement et de peur, et étaient aussi incapables de chercher à s’enfuir que leur chair de résister à nos balles. Et c’était là juste le cas des cinq sur lesquels Vendredi avait tiré dans la pirogue ; car si trois tombèrent des blessures qu’ils avaient reçues, deux tombèrent seulement d’effroi.

Je tenais toujours mon fusil à la main sans tirer, voulant garder mon coup tout prêt, parce que j’avais donné à l’Espagnol mon pistolet et mon sabre. J’appelai Vendredi et lui ordonnai de courir à l’arbre d’où nous avions fait feu d’abord, pour rapporter les armes déchargées que nous