Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/42

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la ville ; la première fois, dis-je, qu’il s’informa de moi, son ton me parut altéré : il me demanda d’un air mélancolique, en secouant la tête, comment je me portais, et dit à son père qui j’étais, et que j’avais fait ce voyage seulement pour essai, dans le dessein d’en entreprendre d’autres plus lointains. Cet homme se tourna vers moi, et, avec un accent de gravité et d’affliction : — « Jeune homme, me dit-il, vous ne devez plus retourner sur mer ; vous devez considérer ceci comme une marque certaine et visible que vous n’êtes point appelé à faire un marin. » — « Pourquoi, monsieur ? est-ce que vous n’irez plus en mer ? » — « Le cas est bien différent, répliqua-t-il : c’est mon métier et mon devoir ; au lieu que vous, qui faisiez ce voyage comme essai, voyez quel avant-goût le ciel vous a donné de ce à quoi il faudrait vous attendre si vous persistiez. Peut-être cela n’est-il advenu qu’à cause de vous, semblable à Jonas dans le vaisseau de Tarsi. Qui êtes-vous, je vous prie ? et pourquoi vous étiez-vous embarqué ? » — Je lui contai en partie mon histoire. Sur la fin, il m’interrompit et s’emporta d’une étrange manière. — « Qu’avais-je donc fait, s’écria-t-il, pour mériter d’avoir à bord un pareil misérable ! Je ne voudrais pas pour mille livres sterling remettre le pied sur le même vaisseau que vous ! » — C’était, en vérité, comme j’ai dit, un véritable égarement de ses esprits encore troublés par le sentiment de sa perte, et qui dépassait toutes les bornes de son autorité. Toutefois, il me parla ensuite très gravement, m’exhortant à retourner chez mon père et à ne plus tenter la Providence. Il me dit qu’il devait m’être visible que le bras de Dieu était contre moi ; — « Enfin, jeune homme, me déclara-t-il, comptez bien que si vous ne vous en retournez, en quelque lieu que vous alliez, vous ne trouverez qu’adversité