Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/44

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vait inculqué si fortement ces fantaisies que j’étais devenu sourd aux bons avis, aux remontrances, et même aux ordres de mon père ; cette même influence, donc, quelle qu’elle fût, me fit concevoir la plus malheureuse de toutes les entreprises, celle de monter à bord d’un vaisseau partant pour la côte d’Afrique, ou, comme nos marins disent vulgairement, pour un voyage de Guinée.

Ce fut un grand malheur pour moi, dans toutes ces aventures, que je ne fisse point, à bord, le service comme un matelot ; à la vérité j’aurais travaillé plus rudement que de coutume, mais en même temps je me serais instruit des devoirs et de l’office d’un marin ; et, avec le temps, j’aurais pu me rendre apte à faire un second ou un lieutenant, sinon un capitaine. Mais ma destinée était toujours de choisir le pire ; parce que j’avais de l’argent en poche et de bons vêtements sur le dos, je voulais toujours aller à bord comme un gentleman ; aussi je n’eus jamais aucune charge sur un bâtiment et n’appris jamais à en remplir aucune.

J’eus la chance, dès mon arrivée à Londres, de tomber en assez bonne compagnie, ce qui n’arrive pas toujours aux jeunes libertins sans jugement comme je l’étais alors, le démon ne tardant pas généralement à leur dresser quelques embûches ; mais pour moi il n’en fut pas ainsi. Ma première connaissance fut un capitaine de vaisseau qui, étant allé sur la côte de Guinée avec un très grand succès, avait résolu d’y retourner ; ayant pris goût à ma société, qui alors n’était pas du tout désagréable, et m’ayant entendu parler de mon projet de voir le monde, il me dit : — « Si vous voulez faire le voyage avec moi, vous n’aurez aucune dépense, vous serez mon commensal et mon compagnon ; et si vous vouliez emporter quelque chose avec vous, vous jouiriez de touts les