Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 1.djvu/53

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et une autre poche pleine de plomb et de balles, pesant environ six livres, et il mit le tout dans la chaloupe. Pendant ce temps, dans la grande cabine de mon maître, j’avais découvert un peu de poudre dont j’emplis une grosse bouteille qui s’était trouvée presque vide dans le bahut, après avoir transvasé ce qui y restait. Ainsi fournis de toutes choses nécessaires, nous sortîmes du havre pour aller à la pêche. À la forteresse qui est à l’entrée du port on savait qui nous étions, on ne prit point garde à nous. À peine étions-nous à un mille en mer, nous amenâmes notre voile et nous nous mîmes en devoir de pêcher. Le vent soufflait Nord-Nord-Est, ce qui était contraire à mon désir ; car s’il avait soufflé Sud, j’eusse été certain d’atterrir à la côte d’Espagne, ou au moins d’atteindre la baie de Cadix ; mais ma résolution était, vente qui vente, de sortir de cet horrible heu, et d’abandonner le reste au destin.

Après que nous eûmes pêché longtemps et rien pris ; car lorsque j’avais un poisson à mon hameçon, pour qu’on ne pût le voir je ne le tirais point dehors : — Nous ne faisons rien, dis-je au Maure ; notre maître n’entend pas être servi comme ça ; il nous faut encore remonter plus au large. — Lui, n’y voyant pas malice, y consentit, et se trouvant à la proue, déploya les voiles. Comme je tenais la barre du gouvernail, je conduisis l’embarcation à une lieue au-delà ; alors je mis en panne comme si je voulais pêcher ; et, tandis que le jeune garçon tenait le timon, j’allai à la proue vers le Maure ; et, faisant comme si je me baissais pour ramasser quelque chose derrière lui, je le saisis par surprise en passant mon bras entre ses jambes, et je le lançai brusquement hors du bord dans la mer. Il se redressa aussitôt, car il nageait comme un liège, et, m’appelant, il me supplia de le reprendre à bord, et me jura