Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/296

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session de la place, je l’eusse munie et fortifiée au nom de la Grande-Bretagne et eusse accru sa population, comme aisément je l’eusse pu faire ; si alors j’eusse résidé là et eusse renvoyé le vaisseau chargé de bon riz, ce qu’aussi j’eusse pu faire au bout de six mois, en mandant à mes amis de nous le réexpédier avec un chargement à notre convenance ; si j’avais fait ceci, si je me fusse fixé là, j’aurais enfin agi, moi, comme un homme de bon sens ; mais j’étais possédé d’un esprit vagabond, et je méprisai touts ces avantages. Je complaisais à me voir le patron de ces gens que j’avais placés là, et à en user avec eux en quelque sorte d’une manière haute et majestueuse comme un antique monarque patriarcal : ayant soin de les pourvoir comme si j’eusse été Père de toute la famille, comme je l’étais de la plantation ; mais je n’avais seulement jamais eu la prétention de planter au nom de quelque gouvernement ou de quelque nation, de reconnaître quelque prince, et de déclarer mes gens sujets d’une nation plutôt que d’une autre ; qui plus est, je n’avais même pas donné de nom à l’île : je la laissai comme je l’avais trouvée, n’appartenant à personne, et sa population n’ayant d’autre discipline, d’autre gouvernement que le mien, lequel, bien que j’eusse sur elle l’influence d’un père et d’un bienfaiteur, n’avait point d’autorité ou de pouvoir pour agir ou commander allant au-delà de ce que, pour me plaire, elle m’accordait volontairement. Et cependant cela aurait été plus que suffisant si j’eusse résidé dans mon domaine. Or, comme j’allai courir au loin et ne reparus plus, les dernières nouvelles que j’en reçus me parvinrent par le canal de mon partner, qui plus tard envoya un autre sloop à la colonie, et qui, — je ne reçus toutefois sa missive que cinq années après qu’elle avait été écrite, — me donna avis que mes planteurs n’avançaient que chétivement, et murmuraient de leur long séjour