Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/42

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avions mis pied à terre et avions abandonné nos chevaux, ils se seraient jetés dessus avec tant d’acharnement que nous aurions pu nous éloigner sains et saufs, surtout ayant en main des armes à feu et nous trouvant en si grand nombre.

Pour ma part, je n’eus jamais de ma vie un sentiment plus profond du danger ; car, lorsque je vis plus de trois cents de ces bêtes infernales, poussant des rugissements et la gueule béante, s’avancer pour nous dévorer, sans que nous eussions rien pour nous réfugier ou nous donner retraite, j’avais cru que c’en était fait de moi. N’importe ! je ne pense pas que je me soucie jamais de traverser les montagnes ; j’aimerais mieux faire mille lieues en mer, fussé-je sûr d’essuyer une tempête par semaine.

Rien qui mérite mention ne signala mon passage à travers la France, rien du moins dont d’autres voyageurs n’aient donné le récit infiniment mieux que je ne le saurais. Je me rendis de Toulouse à Paris ; puis, sans faire nulle part un long séjour, je gagnai Calais, et débarquai en bonne santé à Douvres, le 14 janvier, après avoir eu une âpre et froide saison pour voyager.

J’étais parvenu alors au terme de mon voyage, et en peu de temps j’eus autour de moi toutes mes richesses nouvellement recouvrées, les lettres de change dont j’étais porteur ayant été payées couramment.

Mon principal guide et conseiller privé ce fut ma bonne vieille veuve, qui, en reconnaissance de l’argent que je lui avais envoyé, ne trouvait ni peines trop grandes ni soins trop onéreux quand il s’agissait de moi. Je mis pour toutes choses ma confiance en elle si complètement, que je fus parfaitement tranquille quant à la sûreté de mon avoir ; et, par le fait, depuis, le commencement jusqu’à la