Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/491

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sont les femmes qui exécutent la plupart des travaux pénibles. Leurs traits sont peu agréables, mais on vante en général leur propreté. Leur costume n’est pas dénué de grâce ; leur habillement est tout en laine, dit un voyageur espagnol qui les a visitées, la couleur bleu turquin est la couleur qu’elles affectionnent ; elles portent une tunique et un mantelet court, appelé ichella, qu’elles serrent par devant la taille avec une boucle d’argent. Cet habillement, consacré par l’usage, ne varie jamais ; un bandeau ceint quelquefois leur front ; elles y joignent une foule d’ornements en verroterie et même en argent : cette dernière portion de leur toilette s’élève souvent à des sommes considérables.

La polygamie est en usage parmi les Puelches et Araucans, et ils élèvent autant de cabanes qu’ils ont de femmes. Il serait inconvenant de demander à un guerrier combien il a de femmes, mais on demande combien il a de feux.

Les Puelches et les Araucans sont des peuples essentiellement guerriers, et c’est surtout dans leur gouvernement militaire qu’ils font preuve d’une sagacité remarquable. En droit reconnu, bien que l’élection du généralissime doive tomber sur un des quatre toquis que l’on regarde comme les chefs nés de la république, si aucune n’est jugé digne de cette dignité, on donne le grade de général à celui qu’on croit le plus habile parmi les ulmènes, ou chefs du second rang. Il prend alors le titre de toqui et reçoit la hache de pierre, symbole de la dignité suprême. Plus qu’une fois les Espagnols ont éprouvé ce que valait un tel choix.

Rien n’égale, dit-on, l’espèce de fureur guerrière qui s’empare de ces Indiens au commencement de l’action. Comme ils le disent eux-mêmes, ils s’enivrent de l’esprit de carnage. Il y a quelques années le savant Lesson, se trouvant au Chili, interrogeait des officiers de la république sur leur manière de combattre, et il n’en reçut pour réponse que ces mots significatifs : terribles, señor, oh ! ils sont terribles !

Un ancien voyageur, qui paraît avoir fort bien observé ces peuples, dit que les dépouilles de l’ennemi appartiennent à celui qui s’en empare, et que si la prise est faite par plusieurs guerriers, on la divise en plusieurs parties égales. Les prisonniers ne sont pas immolés pour servir à un festin de guerre, comme cela arrivait infailliblement chez les Tupis et même chez les Aztèques ; on se contente de les condamner à un esclavage perpétuel. Le code de la nation, désigné sous le nom d’Adamapu, ordonne cependant qu’un de ces malheureux soit immolé aux mânes des soldats morts sur le champ de bataille ; cette loi cruelle n’a été exécutée qu’une ou deux fois dans l’espace de deux cents ans.

Maintenant, si on examine ce que la nature a fait pour les Araucans, on pourra se convaincre aisément qu’ils doivent être plutôt pasteurs et nomades que navigateurs. La Pérouse a dit avec beaucoup de justesse : « La multiplication des chevaux qui se sont répandus dans l’intérieur des déserts, et en même temps celle des bœufs et des moutons, qui n’a pas été moins rapide, a fait de ces peuples de vrais Arabes, que l’on peut comparer en tout à ceux de l’Arabie. » Les Puelches habitent surtout les montagnes de la partie orientale ; ils se portent jusqu’aux plaines de la Patagonie, où leur taille athlétique les a fait remarquer ; les autres tribus d’Aucas ne s’aventurent guère sur l’Océan Pacifique, et s’ils le font c’est bien plutôt, comme les Péruviens, sur des espèces de radeaux connus sous le nom de Balzas que dans des pirogues. Les habitants des îles Chiloé, qui conservent encore les traditions primitives des tribus, s’occupent davantage de la navigation ; mais le trajet qu’il faudrait faire pour se rendre au groupe de Juan-Fernandez est trop considérable sans doute pour qu’ils aient osé l’entreprendre. On le comprend donc, si, ayant égard à la position géographique, Daniel de Foë se voyait contraint de mettre en scène les tribus guerrières de ces contrées, il ne trouvait plus aucun des traits distinctifs de race et de caractère qu’il avait l’intention de reproduire, il a tourné ses regards vers une autre partie de l’Amérique : voyons s’il a mieux réussi.

Au temps où vivait l’auteur de Robinson Crusoé, on s’occupait encore beaucoup des Caraïbes des îles ; une foule de missionnaires partaient pour les catéchiser, et les meilleures relations qui nous les aient fait connaître datent précisément de cette époque. En changeant jusqu’à la dénomination des mers où l’action