Page:Defoe - Robinson Crusoé, Borel et Varenne, 1836, tome 2.djvu/506

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nous sommes devenus plus fermes dans la foi ? — Cher Oroboni, lui dis-je, ta question me révèle ta réponse, et celle-ci est aussi la mienne. Le comble de la lâcheté est de se faire l’esclave des jugements d’autrui, lorsqu’on a la conviction de leur fausseté. Je ne crois pas que cette lâcheté, toi ou moi, nous l’eussions jamais. » (tome ii, page 103). C, est là parler en catholique, et en vrai catholique.

Invoquons une autorité plus respectable encore, celle de la Sorbonne dans la censure d’Émile. Page 282, édition in-8o, J. J. Rousseau avait dit : « Toutes les religions sont autant d’institutions salutaires qui prescrivent dans chaque pays une manière uniforme d’honorer Dieu ; qu’elles sont toutes bonnes, quand on y sert Dieu convenablement : le culte essentiel étant celui du cœur ; qu’elles peuvent avoir toutes leurs raisons dans le climat, dans le gouvernement, dans le génie du peuple ou dans quelque autre cause locale qui rend l’une préférable à l’autre, selon les temps et les lieux. » La Sorbonne déclare que ces paroles portent à une hypocrisie détestable. En effet, c’est une conséquence évidente de la doctrine qu’elles contiennent, qu’il est au moins permis à chacun de changer de religion en changeant de lieu, de climat, de gouvernement, et de professer ainsi l’une après l’autre toutes les différentes religions du monde. Elle met Rousseau en contradiction avec lui-même, en citant ce qu’il dit ailleurs : « Dans l’incertitude où nous sommes, c’est une inexcusable présomption de professer une autre religion que celle où l’on est né, et une fausseté de ne pas pratiquer sincèrement celle qu’on professe. »

Le lecteur n’oubliera pas que le Bénédictin ne peut être excusé de prévarication au sujet de sa religion, que le héros du roman a manifestement et sciemment trahi la sienne, qu’il a préconisé la tolérance, c’est-à-dire, d’après sa conduite, l’abandon de la Foi. Nous allons voir maintenant quelle sera sa tolérance à l’égard des Tartares idolâtres. L’idole Cham-Chi-Thaugu, adorée par des peuplades barbares, excite sa rage, et, dans son fanatisme, il pourfend avec son épée le bonnet qu’elle avait la tête. Son exemple encourage ses compagnons de voyage à insulter le monstre, et il y a grande apparence qu’ils l’auraient renversé et brisé, si les idolâtres ne s’étaient armés pour sa défense. Cependant Robinson jure de détruire l’idole, et en effet pendant la nuit, lorsque la population toute entière était plongée dans le sommeil, lorsque les ministres et les adorateurs de Cham-Chi-Thaungu seuls veillaient dans une maison voisine, il parvient à force de ruse à s’emparer d’eux, à les bâillonner, à les traîner près de l’idole et à l, incendier en leur présence avec des matières inflammables. Le jour qui suivit cette expédition nocturne aurait été funeste à toute la caravane sans les sages précautions du gouverneur moscovite. Il faut lire la consternation de Nertzinskoy à la vue du soulèvement dans touts les villages des environs et de la multitude de Tartares qui prirent les armes et se réunirent pour venger la destruction de leur dieu. Toute la feuille 28 est remplie des détails de la fureur des idolâtres, des craintes des soldats russes, des menaces de déclaration de guerre au Czar, des ruses de la caravane pour évier de tomber entre les mains des furieux, des marches et contre-marches pour échapper à leur coupe, des impostures des coupables pour n’être point découverts, et de mille autres inconvénients qu’ils s’étaient attirés et qu’ils faisaient partager à des voyageurs paisibles.

Comment se fait-il que Robinson n’ait pas prévu l’orage qui allait fondre sur lui et qu’il ait commis de gaîté de cœur un crime que la religion réprouve ? Comment peut-il ne pas condamner une action que les anciens conciles, révérés par les Protestants eux-mêmes, ont sévèrement défendue, et qui ne peut que rendre le Christianisme odieux ?

Si quelqu’un, dit le 60e canon du concile d’Elvire, tenu en 305, est mis à mort pour avoir détruit des idoles, il ne sera point admis au nombre des martyrs, parce que cela n’est point écrit dans l’Évangile et n’a pas été pratiqué par les Apôtres.

Sous l’empire de Julien, on força les Chrétiens de rebâtir les temples qu’ils avaient démolis, et on punit ceux qui s’y refusèrent.

En Perse, l’évêque Abdas abattit un temple du feu vers 420, et causa une grande persécution.

Le zèle immodéré des Chrétiens, qui les porte à briser les idoles, à in-