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HÉLIKA.

frapper et se déchirer. De leurs bouches s’échappaient une écume sanglante et d’affreux blasphèmes. Ma vue loin de les apaiser ne fit plutôt que redoubler leur rage. Ils parurent même la concentrer sur ma personne, car comme je m’approchais pour les calmer, ils se sont tous deux précipités sur moi et m’ont violemment repoussé. Toute la nuit s’est ainsi passée dans des paroxysmes de fureur sans que j’aie pu leur faire entendre une parole de raison. »

« La cause de cette haine frénétique qu’ils se portent, vient de ce que tous deux ont tenté de se rendre témoins du roi, avec l’assurance qu’ils voulaient faire donner aux autorités qu’on leur laisserait la vie sauve. À cette condition, ils auraient tout avoué. »

« Ces démarches, ils les avaient faites à l’insu l’un de l’autre et elles leur avaient été révélées le jour de leur procès. Or de tous les hommes celui que les sauvages abhorrent le plus et auquel ils ne pardonnent jamais, c’est au délateur et au traître ; aussi lorsqu’ils le tiennent en leur pouvoir, il est toujours soumis aux plus horribles tortures. »

« Sep : 18. La journée ne s’est pas annoncée sous de meilleurs auspices. Je suis entré dans leur cachot au moment où ils prenaient leur déjeuner. Mon arrivée n’a fait aucun autre effet sur eux que de m’attirer à peine un coup d’œil chargé de mépris. Tout en mangeant ils se sont lancé des regards farouches et pleins de menaces. Comment donc réussirai-je à faire entendre une parole de religion à ces hommes dont le cœur est si profondément gangrené par les plus exécrables passions ? »

« Je les laisse ; il est onze heures et demi du soir. J’ai le cœur navré de tristesse. Mon Dieu, encore une journée et une partie de la nuit de perdues ! Mes peines, mes supplications ne paraissent avoir d’autres résultats que de redoubler leur rage et leurs imprécations. Peut-être la Providence m’inspirera-t-elle demain de nouveaux moyens pour parvenir au but auquel j’aspire si ardemment. Le seul espoir que j’entretienne est de les ramener dans la voie du repentir et d’adoucir leurs derniers jours qui fuient l’un après l’autre avec une incroyable rapidité et qui sont pour moi si pleins d’amertume. »

« Dans deux jours leur âme sera devant Dieu et je n’ai encore rien pu obtenir des coupables. Pourtant, je le sais, la justice des hommes sera inflexible, inexorable, ils n’ont plus de merci à attendre ici-bas. Deux jours seulement, c’est si peu pour se préparer à paraître devant le redoutable tribunal du Souverain Juge ; devant ce regard inquisiteur qui fait dire au roi prophète dans un saint tremblement : Ante faciem frigoris ejus quis sustinebit ! Je vais