Page:Deguise - Hélika, mémoire d'un vieux maître d'école, 1872.djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
27
HÉLIKA.

nombreuses, et il me répugnait de voir ce jeune homme plein d’intelligence et de force, passer dans le camp ennemi. Il connaissait parfaitement les villages et les moyens de leurs habitants, et aurait pu aider puissamment les ennemis à dévaster notre colonie française qui n’était alors, on le sait, que dans son enfance.

Malgré sa répugnance il m’obéit.

Je me présentai quelques jours après dans sa tribu, et m’offris à leur chef comme voulant faire partie des leurs. L’occasion était on ne peut plus favorable. Nous étions en 17… L’histoire du Canada nous apprend combien furent longues et sanglantes les luttes que nous soutînmes contre les Iroquois, leurs plus mortels ennemis.

J’eus toutes les peines du monde à obtenir son pardon du grand chef, mais enfin il céda à mes instances et à l’assurance que je lui donnai que j’allais combattre avec Paulo à leurs côtés.

Il m’est inutile de faire l’histoire des actes de courage et d’audace qui furent déployés dans nos rencontres désespérées, ainsi que des affreux supplices qui furent infligés aux malheureux prisonniers.

Après trois ans de guerre, j’étais unanimement choisi comme un des principaux chefs de la tribu. Vingt fois j’ai vu la mort autour de moi, et me suis trouvé presque seul au milieu de nombreux ennemis. Bien que je désirasse ardemment de mourir, je voulais faire payer ma vie aussi chèrement que possible, je ne sais combien de monceaux de cadavres j’ai vus à mes pieds sans que la mort elle-même eût voulu de moi, malgré mes blessures nombreuses.

Pendant que je prodiguais ainsi mon sang pour sa tribu, Paulo en misérable lâche, fuyait du champ de bataille, aussitôt que l’action s’engageait ; mais quand le feu était cessé, le premier il était à l’endroit du carnage pour dépouiller les morts et torturer les blessés.

Ma position de chef que je devais à ma force musculaire, (tel que mon nom Hélika, qui veut dire bras fort, vous l’indique,) me donnait un ascendant considérable sur mes nouveaux alliés. Le fait est que mon pouvoir était illimité parmi eux, et qu’ils obéissaient aveuglement à mes ordres.

Depuis quatre ans, nous faisions cette guerre barbare et sanguinaire avec toute la férocité et l’acharnement possibles, lorsque nous apprîmes par un envoyé des Iroquois, que le reste de leur tribu demandait la paix. Nous la leur accordâmes aux conditions