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HÉLIKA.

En parlant de la jeunesse, temps hélas, bien éloigné de moi aujourd’hui, il m’est revenu une narration, et la lecture d’un manuscrit, faite par un ancien maître d’école, qui sont encore l’une et l’autre dans un des replis de ma mémoire, comme un émouvant souvenir des temps passés. Ces souvenirs datent de loin, puisque je n’avais qu’à peine vingt ans lorsque je les entendis de la bouche du père d’Olbigny.

Le père d’Olbigny était un vieux maître d’école.

Il était un jour, arrivant on ne savait d’où, venu prendre possession de l’école de notre village.

Après un examen passé devant le curé et les syndics, qui n’étaient malins ni en grammaire, ni en calcul, il avait été décidé qu’il était capable de nous enseigner l’alphabet.

Or, le père d’Olbigny était un homme instruit, profondément instruit. Il parlait et écrivait correctement plusieurs langues anciennes et modernes ; comme nous pûmes en juger plus tard.

Son extérieur n’était rien moins que prévenant en sa faveur. Une balafre affreuse lui partageait transversalement. la figure, et lui donnait une expression étrange ; mais ses yeux étaient si bons, si doux et si chargés de tristesse ; ses procédés à notre égard si affectueux et si paternels, que nous l’aimâmes à première vue et nous nous livrâmes à l’étude, par crainte de lui faire de la peine. Il nous traitait tous avec la même bonté, mais il y avait une classe qui paraissait lui être privilégiée. Cette classe se composait de jeunes gens de mon âge et j’en faisais partie.

Ce fut donc en pleurant qu’il reçut nos adieux, lorsque nous laissâmes l’école pour endosser la livrée de collégiens.

Un soir, dix ans après, nous retrouvions les mêmes condisciples de cette classe, au coin du feu où nous avions été conviés par l’un de nous. Naturellement, nous vînmes à parler de notre temps d’enfance et de notre cher monsieur d’Olbigny. Il avait laissé nos endroits, et ce fut alors que l’un de nous, nous informa qu’il habitait une maison écartée à quelque distance du village de R…, et qu’il y vivait en véritable ermite.

Nous décidâmes, séance tenante, d’aller passer une soirée avec lui.

Il vivait, paraissait-il, dans un pénible état de gêne. Plusieurs de mes amis étaient riches, une souscription fut ouverte et la bourse qui fut formée lui fut transmise sous forme de restitution. Il avait reçu par ce moyen de quoi vivre largement, comparativement, pendant deux ans.

Au jour fixé, personne ne manqua à l’appel.

Le père d’Olbigny pleura de joie de nous revoir, il nous reçut