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HÉLIKA.

approfondir ce mystère et protéger au besoin la malheureuse orpheline.

Cependant mes forces se rétablirent bientôt et je pus reprendre, en regagnant ma tribu, la vie d’habitant des bois. Mais le croirait-on à mesure que les forces me revenaient, l’idée de poursuivre une vengeance se réveillait plus pressante, plus terrible que jamais ; et malgré la terreur que m’inspirait encore le souvenir de la vision, je résolus fermement de la pousser jusqu’au bout. Quelques fussent les obligations que j’avais envers l’indienne et son fils je ne tardai pas à les prendre en haine. Je sentais instinctivement qu’ils allaient être de puissants protecteurs pour Angeline et je décidai de me soustraire à leur surveillance.

Je partis un jour avec Angeline pendant qu’Attenousse et sa mère avaient rejoint un parti de chasseurs et devaient être absents plusieurs semaines ; je me dirigeai vers les rivages de la Baie des Chaleurs, sans que personne sût de quel côté j’allais. J’y passai cinq années au milieu des Abénakis, cultivant et développant, autant qu’il m’était possible, l’esprit et les sentiments de délicatesse de l’enfant, ne perdant durant ce temps aucune occasion de m’informer de Paulo et de tâcher de lui faire connaître l’endroit où je l’attendais, car il était indispensable à mes projets. Enfin un matin, il arriva tout dégradé, plus hideux et plus cynique encore qu’il ne l’était les dernières fois que je l’avais vu. Le fer rouge du bourreau lui avait imprimé sur le front le stigmate d’infamie. À cette vue, le cœur me bondit de joie, aussi j’en fis mon hôte et mon commensal ; il devint mon compagnon inséparable.

Angeline pouvait alors avoir de quatorze à quinze ans, elle s’était admirablement développée. Sa figure était belle, son front respirait la douceur et la candeur. Elle m’était soumise et dévouée à l’extrême, s’évertuant à prévenir le moindre de mes désirs ; et je savais qu’elle se mettrait à la torture pour me faire plaisir.

Pour compléter ma vengeance, j’avais décidé de jeter cet ange de vertu et de bonté entre les bras du misérable Paulo. Il est facile de comprendre l’aversion et l’horreur que ce scélérat lui inspirait. Bien que je lui recommandasse de cacher ses débauches crapuleuses aux yeux de la jeune fille, sa scélératesse naturelle l’en empêchait. J’aurais mis mon projet à exécution depuis longtemps si le regard de Marguerite ne m’eut encore poursuivi et n’était venu de temps en temps me faire frémir de terreur, lorsque surtout sa voix sépulcrale soufflait à mon oreille « frappe si tu l’oses ».