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parlent dans l’espoir de voir toutes ces choses tant vantées. Ils les cherchent et ne les trouvent pas. Ils rentrent dans leurs foyers sans avoir éprouvé aucune des émotions qu’ils se promettaient et que leur promettaient les livres. La faute n’en est pas aux choses, mais aux voyageurs qui n’ont pas apporté à leurs excursions l’esprit et les connaissances nécessaires. C’est l’imagination qui prête aux objets la plupart de leurs charmes. Les infortunés à qui cette faculté magique est refusée, feraient bien de s’en tenir aux descriptions des écrivains et de ne jamais chercher à vérifier par leurs yeux si elles sont exactes. Je les avertis qu’elles leur sembleront toujours souverainement imparfaites et mensongères. Qu’ils aillent à Alexandrie, par exemple. Ne voyant rien d’agréable dans l’aspect général de la ville ou de la campagne, ils se demanderont comment une pareille bicoque peut inspirer tant d’intérêt. Le mérite d’Alexandrie est tout entier dans les souvenirs du passé, et les souvenirs sont des êtres purement abstraits, invisibles et intangibles, auxquels l’imagination donne un corps et une âme.

On voyage pour voir de nouvelles mœurs, de nouveaux usages, et les mœurs et les usages sont les mêmes partout. En tout pays, le plus fort a raison et le plus faible à tort ; en tout pays, la ruse triomphe de la vertu, le vol adroit passe pour un trait de génie ; le mérite modeste est foulé aux pieds ; le crime effronté est au pinacle. En tout pays on crie : Voe victis ! malheur aux vaincus ! et on les jette pêle-mêle aux gémonies sans écouler leurs plaintes, et on tresse des couronnes aux vainqueurs empourprés de sang innocent. Puis le temps pile tout dans son mortier, fait une seule poussière de la cendre des uns et des autres. Le vent la disperse au loin, et le soleil reparaît toujours au-dessus des nuages qui ombragent le coin de bouc où nous rampons.

L’Égypte est généralement appelée le berceau de la civilisation. Nos arts, nos sciences, nos religions ont pris naissance sur les bords du Nil ; les Grecs ont appris des Égyptiens l’architecture, la géométrie, l’astronomie, la