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gante d’ailleurs, nous charrie à travers tous ces bourbiers infects dont les éclaboussures rejaillissent jusque sur nos chapeaux, et dont l’odeur nauséabonde offense notre nerf olfactif. Les petits garçons pataugent comme des canards dans ces marais pestilentiels ; les petites filles s’y promènent avec eux, mais en ayant soin de se retrousser jusqu’au nombril pour couvrir pudiquement leur visage avec un pan de leur robe. On sait que l’Islam défend aux femmes de montrer leurs traits en public.

Après avoir risqué vingt fois de verser, et de nous noyer dans l’ordure, plus cahotés, plus ballottés que nous ne l’avons été sur la mer pendant une traversée de sept jours, nous arrivons à l’hôtel Zech, situé sur la Grande-Place, qui est vraiment grande et même grandiose, quoique les constructions qui l’entourent manquent de caractère ; mais du moins elles sont simples et n’affichent aucune prétention à la beauté architectonique.

Une des choses qui frappent le plus l’étranger à son arrivée en Orient, c’est la variété et l’élégance des costumes ; car, il faut bien le reconnaître, ces barbares sont mieux mis que nous ; comme les Grecs et les Romains, ils ont adopté le costume le plus commode, et il s’est trouvé que le costume le plus commode est en même temps le plus gracieux. Les climats chauds permettent l’emploi d’étoffes de couleur en harmonie avec la splendeur du ciel et du sol. La sécheresse de l’air conserve les couleurs, et l’éclat du soleil en double le lustre. Dans les climats froids, les tons neutres sont les seuls durables ; les autres s’effacent promptement par l’effet de l’humidité. Le rouge, le jaune paraissent ridicules sous un ciel gris et un soleil blême. Le blanc et le noir sont donc devenus, pour cette raison, notre livrée habituelle. Les Orientaux ne peuvent s’expliquer un pareil choix. Le noir leur fait horreur, à ces fils de la lumière. Ils se demandent si ce n’est pas pour porter sur nous la nuance de notre âme impure que nous nous habillons comme des corbeaux. Ils disent aussi que nous me-