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ne nous arrive pas souvent, car à Alexandrie il n’y a ni réunions ni spectacle. Quant aux concerts, il y en a un qui dure malheureusement toute la nuit et qui empêche les gens de dormir. Ce sont les hurlements sinistres des chiens vagabonds et les aboiements plus sinistres encore des soldats du guet, qui font la ronde et la patrouille pour prêter main-forte aux voleurs, s’il y a lieu.

Mohammed est un bon valet, mais il a un défaut : il n’a pas de mémoire, ce qui est cause qu’il nous fait payer deux fois la même note. Il lui est même arrivé de faire payer trois fois le même objet. Au bout de quelques jours, nous trouvâmes qu’un domestique sans mémoire est chose par trop coûteuse, et nous le renvoyâmes.

Nous visitons les curiosités d’Alexandrie, c’est-à-dire la colonne de Pompée, dans sa solitude ; les deux Aiguilles de Cléopâtre, dont une gît couchée par terre en deux morceaux ; les Catacombes, qui n’étaient sans doute que des carrières ; le jardin d’Ibrahim-Pacha ; le Palais de Saïd-Pacha et le canal dit Mahmoudié. La rive nord de ce canal est bordée d’un côté de villas blanches avec de jolis jardins en fleurs, et de l’autre côté elle est garnie d’acacias d’Égypte nommés lebbakh. Le coup d’œil est varié et agréable. On ne se lasse pas de se promener entre les jardins des villas et ces magnifiques arbres à travers lesquels on aperçoit par delà la rive sud du canal, le lac salé et les campagnes immenses et plates du Delta.

Le lecteur a déjà pu s’apercevoir que je ne parle de l’Égypte qu’avec des larmes dans la voix. Il pourrait croire que je n’aime pas ce pays et que je n’en apprécie pas les mérites. Je tiens à le détromper. La douleur que j’éprouve est le résultat de la comparaison incessante que je fais à part moi entre l’Égypte ancienne et l’Égypte moderne, entre l’état de cette contrée sous les Pharaons et les Ptolémées et cet état sous les chrétiens et les Arabes.

À Alexandrie, je ne cessais de pleurer la ville merveilleuse, la seconde capitale du monde, la métropole de l’é-