Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/107

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et qui es ma règle, ma loi suprême. Sans toi, sans l’intérêt que je prends à tout ton être, je ne comprends plus rien à la vie. Aussi, comme d’ici à peu de temps je ne te serai plus utile à rien, voilà encore une des raisons pour lesquelles j’aime mon mal ; j’espère qu’il mettra fin à mon amour, à ma vie et aux embarras innombrables que je te causerais infailliblement. Ne m’interromps pas, Ernest... Non, je ne t’écouterai pas, dit mademoiselle de Liron en se bouchant les oreilles, cuirasse ton cœur pour m’entendre, et laisse-moi continuer ; j’ai failli te jouer le mauvais tour que m’a fait le destin ; mais, grâce au ciel, je m’en suis aperçue à temps, et je t’ai rendue à ce monde, où tu es heureusement placé. Ah ! ne t’attends pas à des semblants de modestie de ma part ! Je suis joyeuse, fière, triomphante de ce que j’ai fait pour toi ! C’est l’amour que tu m’as inspiré qui m’a guidée. Aujourd’hui, comme il y a un an, j’ai donc acquis des droits sur ton cœur, sur ton âme. Aujourd’hui, comme il y a un an, parce que tu es reconnaissant, généreux, je ferai encore usage à l’instant même de ces droits.

— Ô Justine ! que vas-tu dire ? s’écria Ernest.

— Je veux, continua mademoiselle de Liron, sans écouter cette question, je veux que tu te prépares à l’idée de notre séparation.... mais ma langue a été timide, c’est de ma mort que je voulais dire.

— Justine ! Justine ! à quelles épreuves me mettez-vous ? répéta plusieurs fois Ernest.

— Continuons, continuons sans nous troubler, reprit mademoiselle de Liron ; toutes mes dernières volontés ne te sont pas encore connues. Je veux donc que tu accoutumes ton âme à ma mort ; quant aux regrets que tu éprouveras de ma perte, il serait insensé à moi de te les interdire. Le cœur n’obéit pas à des ordres ; mais ta volonté peut beaucoup sur lui, et si tu veux honorer ma mémoire, si les désirs que je forme en ce jour et le souvenir que tu en conserveras te sont chers, fais que tes regrets se transforment en courage ; souviens-toi que ta Justine serait mécontente si elle te voyait céder sous le poids du chagrin et négliger les soins que tu dois prendre de ta santé, de ton état et de la culture de tes