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mais après quelques secondes, il reçut sur son front le dernier souffle qu’elle exhala. M. Tilorier et Mariette tombèrent à genoux, et tous les trois restèrent silencieux dans cette position pendant plusieurs minutes.

Ce fut Ernest qui se releva le premier et qui rompit le silence :

— Elle est morte, dit-il.

M. Tilorier et lui se jetèrent dans les bras l’un de l’autre, et Mariette commença à sangloter, puis à pleurer à chaudes larmes.

Ernest ne pleurait point. Il ne s’était pas attendu à ce que la mort serait si prompte, et son âme renfermait un surcroît d’énergie qui n’avait pas été employé ; seulement sa bouche devint amère. Après avoir pris deux gouttes de vinaigre, il retourna vers le corps inanimé de mademoiselle de Liron, lui ferma les yeux, et se tourna ensuite vers M. Tilorier, auquel il exprima par ses gestes le désir de rétablir un peu d’ordre dans tout ce qui entourait la défunte ; le médecin l’aida, le dirigea même pour remplir ce premier devoir.

Ainsi mourut presque subitement mademoiselle Justine de Liron.

Les relations qu’Ernest avait eues avec elle, le besoin impérieux de la remplacer dignement auprès de son oncle d’abord, et ensuite envers tous les gens de la maison, firent sentir à ce jeune homme l’obligation de revêtir sa douleur de décence. Dès que sa cousine eut fermé les yeux, l’âme d’Ernest prit donc une existence, une force nouvelle, pour s’élever au-dessus des faiblesses de la douleur vulgaire. Les conseils de mademoiselle de Liron, qui jusque-là n’avaient pénétré que son cœur, frappèrent tout à coup sa raison, et il sentit qu’elle l’avait fait homme, et qu’elle l’avait investi de la dignité de chef de famille.

L’âme de cette excellente personne a pu se réjouir, à ce moment et depuis, de son ouvrage. Ernest ne fit plus rien dans sa vie sans s’assurer mille et mille fois par la réflexion que sa conduite mériterait l’approbation de sa cousine, et mademoiselle de Liron fut toujours pour cet homme un véritable ange gardien.