Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/13

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le plus fort a raison, à moins qu’il n’en rencontre un aussi fort mais plus rusé que lui. »

Consulte-t-on les relations des voyageurs ? La différence des pays, des climats, des religions, des lois et des mœurs, en nous suggérant mille idées contradictoires, ébranle notre intelligence, contrarie nos croyances et nos goûts, énerve notre pensée en la forçant de s’étendre indéfiniment sur les bizarreries de notre globe, et plonge enfin notre esprit dans le vague fatigant du scepticisme. Ce sont des livres qui profitent plus à la science qu’à la morale. J’omettrai aussi les poëtes, dont la plupart, relégués dans la catégorie des romanciers, passent pour des écrivains profanes ; car je ne puis comprendre ici Dante, Milton, Klopstock, et tous ceux qui, comme eux, s’emparant de sujets essentiellement religieux, se sont proposés un but supérieur à la morale proprement dite. Mais pour faire l’exposition de tous les doutes qui se sont présentés à mon esprit, et épuiser la série des questions que je veux faire, je demanderai quel est précisément le but moral auquel on arrive lorsque l’on a achevé la lecture complète de la première partie de la Bible, l’Ancien Testament ? Ce qu’il contient d’historique n’est guère plus satisfaisant pour l’âme que ce qu’on lit dans les annales des nations dont j’ai parlé plus haut ; toutes les parties où est exposée la législation des Hébreux est tellement hors de nos mœurs, que c’est un grand labeur pour l’esprit que de chercher à les coordonner et à les comprendre ; Ruth, Noémi, Tobie, Judith et Esther, récits attachants, tantôt par leur simplicité, tantôt par leur éclat, offrent peu de traits d’où résulte une morale applicable aux actes de la vie ordinaire ; quel exemple utile pouvons-nous tirer aujourd’hui de la simplicité excessive de Ruth, de la pieuse coquetterie d’Esther, ou de l’action terrible de Judith ? Viennent ensuite les admirables cantiques du roi David, qui inspirent le respect et la crainte pour le Dieu jaloux, vengeur et tout-puissant ; mais bientôt le plaidoyer sur la foi et l’incrédulité, contenu dans le Livre de Job, jette dans l’esprit un trouble que rend plus fatigant encore pour l’âme ce traité de scepticisme revêtu d’une si prodigieuse éloquence dans l’Ecclésiaste. De cet abîme ténébreux et sans fond on est transporté tout à coup dans les plaines riantes autour de Sion, où le Bien-aimé