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pas perdre leur temps et leurs forces en fureurs ou en rêveries inutiles. Notre futur sut bien en profiter. Les soupirs et le bruit des pas d’Ernest ne l’auraient pas averti de l’agitation à laquelle ce malheureux jeune homme était en proie, que son expérience et sa pénétration le lui auraient fait deviner. Son calcul fut si juste, qu’il prévit même le repos forcé que cette espèce de fièvre amènerait. Aussi, vers les cinq heures du matin, M. de Thiézac, dérogeant à ses habitudes, s’habilla, sortit, et alla se promener sous les fenêtres du corps de logis habité par M. et mademoiselle de Liron.

Ce demi-stratagème lui réussit au mieux. Depuis longtemps les faneurs étaient à l’ouvrage, et déjà tous les domestiques de la maison, ainsi que mademoiselle de Liron elle-même, étaient sur pied. Dès qu’elle aperçut M. de Thiézac, elle rejeta en arrière son grand chapeau de paille et alla à lui en souriant :

— Eh quoi, monsieur, lui dit-elle, vous déjà levé ! je ne vous croyais pas si amateur de la vie rurale.

— On doit toujours se conformer aux goûts et aux habitudes de ses hôtes, répondit M. de Thiézac en dirigeant ses pas de côté, de manière à faire comprendre à mademoiselle Justine qu’il désirait lui dire quelques mots en particulier.

— Qu’est-ce ? et que voulez-vous, monsieur ? dit-elle avec quelque émotion.

— Rien, mademoiselle, qui puisse vous inquiéter ; mais j’ai pensé que cette heure serait opportune pour vous entretenir d’une affaire qui intéresse monsieur votre père, et à laquelle, si je ne me trompe, vous pouvez donner une heureuse issue.

— Qu’est-ce donc, monsieur ?

— Votre cousin, le jeune Ernest, pour une raison que je ne puis découvrir, et que je ne dois pas chercher à connaître, fait difficulté de partir demain pour Paris. Or vous saurez qu’il y est impatiemment attendu pour prendre possession d’un poste qui lui est destiné. Je ne vous cache pas que son avenir dépend de la résolution qu’il va prendre. Au surplus, ajouta M. de Thiézac, après avoir donné quelques explications touchant l’emploi réservé à Ernest, prenez lec-