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nent à l’éducation des jeunes enfants. Dès qu’elles ont atteint l’âge de six ou sept ans, c’est à elles que l’on confie les enfants nouveau-nés ; ce sont elles qui les bercent et les soignent, qui les portent, les promènent et les couchent ; et, à cela près de l’allaitement, pour lequel il faut avoir recours à la mère, ce sont les petites filles aînées des familles qui élèvent et gouvernent les nouvelles générations jusqu’à l’âge de quatre à cinq ans. Ces soins, les travaux pénibles des champs qui s’y joignent souvent encore, et l’idée du besoin qui, de si bonne heure, pèse sur ces jeunes créatures, leur ravissent presque toujours la fraîcheur du jeune âge et les privent de la jeunesse de l’esprit. Il n’y a que dans les idylles et sur les théâtres où l’on trouve des villageois gais dans leurs manières et insouciants par bonheur. Dans la réalité, les paysans, même dès le bas âge, sentent le joug de la vie : il est lourd pour eux, et à cela près d’une certaine pétulance toute corporelle, qui fait parfois illusion, leur imagination est déjà vieillie à quatorze ans.

La pauvre Toinette en était un exemple frappant. À la lenteur régulière de son travail, à l’exactitude parcimonieuse qu’elle mettait à cueillir les fruits dont la beauté et la profusion ne lui faisaient naître que l’idée d’une récolte plus abondante et plus lucrative, on voyait qu’elle n’était occupée que de mettre à profit toutes les heures pour retourner à temps chez son père, et lui remettre la récolte du jour qu’il devait aller vendre la nuit. Sa grande affaire était de distribuer sa journée de manière à faire face, vers le soir, à tous les soins intérieurs ; car, depuis la mort de sa mère, Toinette était devenue la personne essentielle dans la maison.

Quant à ces dehors gracieux et séduisants, si prisés chez les jeunes filles des grandes villes, Toinette ne donnait pas même à penser qu’elle eût pu les acquérir, quand le sort l’eût fait naître de parents riches et au milieu d’une société recherchée. Mais elle avait une qualité incomparable, un don qui procède immédiatement du Créateur et tombe tout parfait dans le cœur de quelques humains. C’était une bonté de cœur si naturelle et si complète, qu’elle lui tenait lieu de beauté, d’esprit et de tout.