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Grâce à l’inconcevable pénétration des enfants pour voir en quelque sorte l’âme des gens à travers leur physionomie, Louise avait reconnu dès le premier coup d’œil le trait distinctif du caractère de Toinette. Depuis, elle n’avait eu que de rares occasions de la rencontrer ; mais un instinct secret lui faisait toujours désirer de la voir et d’échanger quelques paroles avec elle. C’est ce désir ardent, cet amour instinctif du bon, qui avait entraîné Louise à aller vers Toinette, presque sans la permission de sa mère.

Louise de Soulanges était accroupie cueillant des fraises, et jasant avec sa nouvelle compagne.

— Ce travail doit vous plaire plus que les autres, Toinette, disait-elle ; cueillir ces jolis fruits et les arranger avec adresse dans vos petits paniers, cela doit vous être un peu plus agréable que le soin de vos bestiaux et les tracas de votre maison ; n’est-ce pas ?

— Hélas ! mon Dieu, mademoiselle, nous ne faisons pas grande différence entre une besogne et une autre, à moins qu’elle ne soit moins rude ; et cueillir des fraises, voyez-vous, est un métier bien fatigant, je vous assure, parce que cette marchandise-là ne peut pas attendre. Si ce que nous cueillons à présent n’était pas récolté ce soir et vendu demain matin, ce serait autant de perdu, la peine et l’argent... Prenez garde, mademoiselle Louise, vous ne cueillez pas bien, et vous gâteriez notre plant en tirant si fort pour avoir le fruit. Tenez, regardez ; il faut couper la queue sur ce doigt-là avec l’ongle du pouce.

— Mais cela fait bien mal, Toinette.

— Vraiment oui, je le sais ; d’ailleurs vous pouvez le voir, je laisse pousser mon ongle à ce doigt, et l’autre est tout écorché : mais c’est notre état.

— Vous devriez vous servir de ciseaux.

— Il y en a qui l’ont fait, mais ça prend trop de temps, et l’on se moque d’eux.

— Pourquoi votre frère et votre sœur ne vous aident-ils pas ?

— Oh ! les pauvres petits ! Ils ont travaillé hier, il faut qu’ils se reposent et dorment aujourd’hui ; et puis, voyez-