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LE MÉCANICIEN ROI.


Vers 1808 ou 1809, j’eus besoin de faire emplette d’une paire de rasoirs. On m’indiqua un habile coutelier qui demeurait rue Saint-Honoré, et j’allai le trouver. En entrant chez lui, je fus frappé de la ressemblance des traits de son visage avec ceux de Descartes ; c’étaient les mêmes cheveux noirs, la même figure pâle et creusée ; comme dans la physionomie du philosophe, je retrouvai dans celle de l’artisan cette même pénétration calme, repos passager d’une âme ardente. Il me fit voir plusieurs pièces de coutellerie que je lui demandais ; mais à peine eus-je fait quelques observations sur l’inutilité de l’éclat du manche de pareils outils, qu’il replaça ses rasoir dans une montre élégante.

— Vous avez raison, dit-il, mais tout cela, voyez-vous, est fait pour ceux qui passent ; on ne les attire qu’avec ce qui brille. Venez par ici, avec moi.

En disant ces mots, il mit le pied sur une petite échelle qui conduisait dans une cave, et j’y descendis après lui.

C’était son atelier privé. Du milieu d’un chaos d’outils, de meules, de morceaux de métaux et de machines dont j’ignorais l’usage, il retira une paire de rasoirs fort simples qu’il me remit entre les mains.

— Voilà, dit-il, ce qu’il vous faut ; donnez-moi dix francs.

À peine l’avais-je payé, qu’il mit devant moi une serrure de sûreté d’une invention admirable et parfaitement exécutée, quoique non finie.

— Pourquoi, lui demandai-je, n’achevez-vous pas cet ouvrage ? Ce morceau, exposé parmi les produits de l’industrie nationale, vous ferait connaître, et votre fortune serait faite.

— Ma fortune ? reprit-il en laissant échapper un sourire