Page:Delécluze - Romans, contes et nouvelles, 1843.djvu/590

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res, tout cela n’est que la précieuse transpiration du cœur humain, au moyen de laquelle la vie intellectuelle devient expansive, légère et bienfaisante pour ceux qui la vivent comme pour ceux qui en reçoivent l’influence.

Rien n’est d’une application plus générale à l’espèce humaine que la fable du Barbier du roi Midas ; et si toutes les plantes avaient la vertu loquace des roseaux du Pactole, il n’y a pas un pouce de terre qui ne fournît des moissons d’histoires, d’aveux et de confessions étranges. Il faut que ce besoin de dire ce que l’on sait, de transmettre une vérité que l’on a reconnue, soit bien naturel et bien fort, puisque les hommes du caractère le plus froid, de l’esprit le plus grave, y ont cédé. En voici un exemple curieux :

Boccace raconte qu’un certain marquis de Montferrat, porte-enseigne de l’Église, était passé en Syrie avec l’armée des chrétiens. La vaillance de ce seigneur faisait grand bruit jusqu’à la cour de Philippe, roi de France, qui se disposait lui-même à faire le voyage de la Terre-Sainte. Comme on parlait un jour à ce prince du vaillant marquis, un chevalier, enchérissant encore sur les éloges que l’on en faisait, assura qu’il n’y avait pas sous le soleil un couple plus parfait que celui que formaient ce marquis et sa femme, ajoutant que si le mari se faisait remarquer parmi tous les chevaliers de renom, son épouse était la plus belle et la plus vertueuse de toutes les femmes.

Ces paroles firent une impression si vive sur l’imagination du roi de France, que, d’après ces mots seulement et sans avoir vu la dame, il se sentit pris d’amour pour elle. Il résolut donc, pour faire le grand voyage qu’il méditait, d’aller s’embarquer à Gènes, afin d’avoir le prétexte de saluer en passant la marquise de Montferrat, se flattant un peu qu’en l’absence du mari il pourrait ne pas mal passer son temps auprès de la femme. Il se mit donc en route, et près de mettre le pied sur les terres de la marquise, il envoya un jour d’avance un officier de confiance pour la prier de vouloir bien le recevoir le lendemain à dîner. Prudente et spirituelle, la marquise fit répondre qu’elle était bien sensible à l’honneur qui lui avait été fait, et que le roi serait le bienvenu. Toute-