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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

génie ! que ces traits presque effacés par le temps sont empreints de majesté !

J’ai senti se réveiller en moi la passion des grandes choses. Retrempons-nous de temps en temps dans les grandes et belles productions ! J’ai repris ce soir mon Dante ; je ne suis pas né décidément pour faire des tableaux à la mode.

En sortant de là, nous avons été chez un teinturier, où nous avons vu une fille dont la tournure et la tête sont admirables et étaient tout en harmonie avec les sentiments que ces beaux ouvrages italiens m’avaient inspirés.

Je retournerai, si je puis, souvent là. Il y a des portraits vénitiens admirables… Un Raphaël et un Corrège… Oh ! la belle Sainte Famille de Raphaël !

— Ce soir, Félix est venu chez moi ; il était arrivé ce matin ou hier soir. Le bon ami ! nous avons bien amicalement causé toute la soirée.

— La Saint-Sylvestre[1]. L’année va finir.

— C’était le 27… Dîné avec Édouard et Lopez, chez le restaurateur. Le soir ils m’ont présenté chez

  1. Dans sa Correspondance, Delacroix parle à maintes reprises de la Saint-Sylvestre, qui, par une joyeuse habitude de jeunesse, était pour lui l’occasion d’une réunion intime avec ses camarades de la première heure, Félix Guillemardet et Pierret. M. Ph. Burty nous raconte qu’on la fêtait à tour de rôle chez l’un des trois amis ; on mangeait, on buvait, on s’embrassait à minuit. Dans une lettre à Pierret, datée de 1820, Delacroix s’écrie : « Là, à la lumière de la chandelle tout unie, on s’établit sur une table où l’on s’appuie les coudes et on boit et mange beaucoup pour avoir de ce bon esprit d’homme échauffé ! C’est là la gaieté, et que la note est vraie ! Ah ! que les potentats et les grands politiques sont à plaindre de n’avoir pas de Saint-Sylvestre ! » (Corresp., t. I, p. 54.)