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IX
EUGÈNE DELACROIX.

tèrent de très bonne heure ; si l’on en croit ses notes mêmes, il était aussi bien doué pour la musique que pour le dessin. Il raconte qu’à l’époque où son père était préfet de Bordeaux, il avait étonné le professeur de musique de sa sœur par la précocité de ses aptitudes. Tout jeune encore, à neuf ans, il fut mis au lycée Louis-le-Grand. Il ne paraît pas qu’il y ait été un élève remarquable : il appartenait à cette classe d’esprits qui doivent se former seuls, vivent, bien qu’enfants, déjà repliés sur eux-mêmes, chérissent l’isolement, et attendent l’appel intérieur de la vocation. Philarète Chasles, qui fut son camarade de collège, nous a laissé dans ses Mémoires un portrait physique et moral d’Eugène Delacroix : l’étrangeté de sa physionomie, ce quelque chose de bizarre et d’inquiétant qui marque d’un signe certain les destinées supérieures, avait frappé son attention d’observateur, et lui avait permis de le distinguer dans la masse des intelligences vulgaires qui l’entouraient : il avait noté ses aptitudes extraordinaires pour le dessin : « Dès sa huitième et neuvième année, cet artiste merveilleux reproduisait les attitudes, inventait les raccourcis, dessinait et variait tous les contours, poursuivant, torturant, multipliant la forme sous tous les aspects avec une obstination semblable à de la fureur. » On trouvera peut-être surprenant que dans son Journal Delacroix ne se reporte presque jamais à cette époque de sa vie ; sans doute, comme la plupart des natures délicates et originales, il avait conservé un mauvais souvenir de cette misérable existence du lycéen, assez voisine de l’enrégimentement par sa promiscuité, et, différant en cela de la majorité des hommes qui considèrent ces premières années comme les