Page:Delacroix - Journal, t. 1, éd. Flat et Piot, 2e éd.djvu/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
XX
EUGÈNE DELACROIX.

parlé du bouillonnement qui se faisait dans sa tête ; il l’a représenté curieux de tout, s’intéressant à tout, suivant des cours de langues orientales, faisant de la botanique, bref, un des esprits les plus ouverts de ce siècle. La lecture complète du Journal est une vérification éclatante de son assertion. Dès les premières années, Delacroix vit dans une constante surexcitation. En 1822, il écrit : « Que de choses à faire ! Fais de la gravure, si la peinture te manque, et de grands tableaux… Que je voudrais être poète ! » Il s’échauffe à la fréquentation des écrivains, tient constamment présent à sa pensée le souvenir des précurseurs : la vie de Dante, celle de Michel-Ange le hantent et le soutiennent. La noblesse et la pureté de ces existences d’artistes lui sont comme un perpétuel incitamentum qui le pousse à la production et l’arrête sur les pentes dangereuses. Que de bouillonnement dans ce cerveau, mais aussi que de méthode ! Que d’ardeur, mais que de sagesse ! L’impression maîtresse qui demeure est celle d’une existence bien ordonnée, dans laquelle la raison et la volonté dominent toujours la passion et ne cèdent jamais pied !…

Si peu avancés que nous soyons dans l’analyse de cet esprit, nous y découvrons déjà les rudiments d’une philosophie, j’entends une conception d’ensemble de la vie. Le propre des cerveaux à tendances généralisatrices est de ne jamais s’en tenir aux événements et de considérer les phénomènes successifs dont ils sont les témoins comme autant de matériaux pour la construction d’idées. Delacroix est de ce nombre, la seule forme de son Journal suffirait à le démontrer. Il voit un écrivain, un artiste, un homme politique : peut-être bien la conversation n’a-t-elle