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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

atteinte de noirs, comme moi ; je vois que je ne suis pas le seul. L’âge y est pour quelque chose.

Vendredi 2 mars. — Pelletier[1], que j’ai rencontré en omnibus, en allant chercher des lunettes, ma dit que je surmonterais la cacochymie du corps et de l’esprit en faisant de temps en temps un voyage, un séjour dans les montagnes par exemple. Il m’a parlé du Jura ; j’ai pensé aux Ardennes.

Descendu à Saint-Sulpice et visité la chapelle ; l’ornementation sera difficile sans dorure.

De là choisi des lunettes, et revenu à la maison de bonne heure. Au moment où je me remettais au tableau des Hortensias, est arrivé Dubufe pour me demander d’aller voir sa République. M. de Geloës survenu, puis Mornay, à qui l’on a fait des ouvertures. Enfin, vers trois heures et demie, j’ai pu travailler et j’ai donné bonne tournure au tableau.

— Le soir, sorti pour aller voir Chopin et rencontré Chenavard[2]. Nous avons causé près de deux heures. Nous nous sommes abrités pendant quelque temps dans le passage qui sert de lieu d’attente aux

  1. Laurent-Joseph Pelletier, paysagiste, né en 1810. Son œuvre est considérable et dénote un incontestable talent. Il a beaucoup travaillé dans la forêt de Fontainebleau.
  2. Chenavard devait être par la suite un des plus intimes amis de Delacroix, un de ceux avec lesquels il « aimait à s’expatrier en de longues causeries ». Si sévèrement qu’il ait pu le juger comme producteur, et l’on conçoit que les théories abstruses du peintre-philosophe aient été souvent en opposition avec les idées de Delacroix, il est une chose qu’il lui a toujours reconnue, c’est l’érudition profonde, l’amour des idées, par quoi il se différenciait si nettement de la plupart des peintres.