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XXVIII
EUGÈNE DELACROIX.

que Delacroix ait écrit « qu’un artiste a bien assez à faire d’être savant dans son art » ; sans doute, en notant cette boutade, il songeait au danger inverse de celui qu’il avait indiqué plus haut, à l’inconvénient qui peut résulter pour un peintre d’une culture trop étendue, quand elle ne s’accompagne pas d’une faculté d’invention en harmonie avec elle. Peut-être même, — et les longs entretiens qu’on lira dans le Journal de 1854 confirmeront cette hypothèse, — pensait-il à Chenavard, dont il appréciait singulièrement l’érudition, mais à qui il reprocha toujours de n’être pas assez peintre. Il n’en reste pas moins certain qu’une culture complète de l’esprit lui paraît la condition indispensable de toute grande carrière d’artiste.

L’éternelle question du « Beau », qui a servi de thème aux discussions stériles de tant d’écrivains, cette question qui sous la plume des purs théoriciens ne peut guère être qu’un prétexte à déclamations creuses, mais qui, traitée par un artiste comme Delacroix, devient aussitôt d’un intérêt vivant et palpitant, devait le préoccuper et le préoccupa en effet. Sous ces deux titres : Questions sur le Beau et Variations du Beau, il l’examina dans ses détails, et dévoila la largeur de ses vues esthétiques. Ennemi des pures abstractions et des principes absolus, il arrive à cette conclusion notée par M. Mantz, « qu’il faut admettre pour le Beau la multiplicité des formes », « que l’art doit être accepté tout entier », et que « le style consiste dans l’expression originale des qualités propres à chaque maître ». L’examen de ces problèmes d’esthétique revient souvent dans son Journal, aussi bien pendant les premières années de jeunesse, alors que ses convictions n’étaient pas encore solidement assises, qu’à l’époque de la pleine