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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

sûreté, la faculté de combiner, d’exprimer ; l’intelligence a grandi, mais l’âme a perdu son élasticité et son irritabilité. Pourquoi l’homme, après tout, ne subirait-il pas le sort commun des êtres ? Quand nous cueillons le fruit délicieux, aurions-nous la prétention de respirer en même temps le parfum de la fleur ? Il a fallu cette délicatesse exquise de la sensibilité au jeune âge pour amener cette sûreté, cette maturité de l’esprit. Peut-être les très grands hommes, et je le crois tout à fait, sont-ils ceux qui ont conservé, à l’âge où l’intelligence a toute sa force, une partie de cette impétuosité dans les impressions,… qui est le caractère de la jeunesse ?

Passé la matinée à lire Montesquieu.

— A Fécamp, vers deux heures ; la mer était magnifique. Beaux aspects de la vallée. Après dîner, discussion politique.

— Je comparais ces jours-ci les peintures qui sont dans le salon du cousin. Je me suis rendu compte de ce qui sépare une peinture qui n’est que naïve, de celle qui a un caractère propre à la faire durer. En un mot, je me suis souvent pris à me demander pourquoi l’extrême facilité, la hardiesse de touche, ne me choquent pas dans Rubens, et qu’elles ne sont que de la pratique haïssable dans les Vanloo… j’entends ceux de ce temps-ci comme ceux de l’autre. Au fond, je sens bien que cette facilité dans le grand maître n’est pas la qualité principale ; qu’elle n’est que le moyen et non le but, ce qui est le contraire dans les