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JOURNAL D’EUGÈNE DELACROIX.

J’ai joui aujourd’hui délicieusement, et comme un enfant qui entre en vacances, de ma résolution subite de demeurer encore. Que l’homme est faible et facilement étrange dans ses émotions et ses résolutions !

J’étais hier soir d’une tristesse mortelle. En revenant de ma soirée, je ne rêvais que catastrophes ; ce matin, la vue des champs, le soleil, l’idée d’éviter encore quelque temps ce brouhaha affreux de Paris m’ont mis au ciel.

Heureux ou malheureux, je le suis presque toujours à l’extrême !

Lundi 13 mai. — J’ai passé ma journée tout seul et ne me suis pas ennuyé. Jenny et la servante sont allées à Paris dès le matin et sont revenues seulement à six heures.

J’étais en train de faire mon dîner, quand elles sont arrivées trempées par une pluie affreuse, qui n’a presque pas cessé tout le jour.

Je me suis plu dans l’isolement complet et le silence de cette journée.

Mardi 14 mai. — Sur l’isolement de l’homme.

« L’indépendance a pour conséquence l’isolement », Mme Quantinet me cite cet extrait de l’Adolphe de Benjamin Constant. Hélas ! l’alternative d’être ennuyé et harcelé toute la vie, comme l’est un homme engagé dans des liens de famille par exemple, ou d’être abandonné de tout et de tous, pour n’avoir