Page:Delatour - Adam Smith sa vie, ses travaux, ses doctrines.djvu/164

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vait se dégager de l’ensemble de son œuvre, et, dans cette histoire de la civilisation qu’il avait conçue, il se proposait de démontrer que toutes les forces qui agissent en nous nous conduisent à la même fin et tendent à produire une harmonie universelle. Mais il n’eût pas été inutile de le rappeler ici, à propos du principe de la liberté du travail. Turgot l’avait bien compris, et, au commencement de cette même année 1776 qui vit paraître les Recherches, il avait tenu à baser ses réformes sur ce fondement élevé de la loi morale, plaçant en tête de ses édits ces lignes remarquables qui sont dans toutes les mémoires : « Dieu, en donnant à l’homme des besoins, en lui rendant nécessaire la ressource du travail, a fait du devoir de travailler la propriété de tout homme, et cette propriété est la première, la plus sacrée et la plus imprescriptible de toutes. »

Cette considération élevée manque à l’œuvre de Smith, mais, au point de vue de l’intérêt proprement dit, les avantages de la liberté du travail y sont magistralement exposés ; il montre fort exactement comment l’intérêt pousse naturellement l’homme au progrès, au bien général, et comment on arrive fatalement à des résultats déplorables lorsqu’on s’efforce de briser ou de détendre ce ressort que la Providence a placé en nous. L’auteur des Recherches nous en donne un exemple dans le travail des esclaves[1]. Chez ceux-ci, aucun sentiment de responsabilité, point d’intérêt à la production ; la crainte seule les fait travailler, et combien est faible ce sentiment de la crainte si on le compare à l’espérance qui remplit le cœur de l’homme libre et le pousse à améliorer sa position par le travail ! « L’expérience de tous les temps et de toutes les nations, conclut il, s’accorde donc pour démontrer que l’ouvrage fait par des esclaves, quoiqu’il paraisse ne coûter que les frais de leur subsistance, est, au bout du compte, le plus cher de tous. Celui qui ne peut rien acquérir en propre, ne peut avoir d’autre intérêt que de manger le plus possible et de travailler le moins possible. Tout travail, au delà de ce qui suffit pour acheter sa subsistance, ne peut lui être arraché que par la contrainte, et non par aucune considération de son intérêt personnel. »

  1. Rich., liv. I, ch. VIII (t. I, p. 112) et liv. III, ch. II (t. I, p. 480).