Page:Delatour - Adam Smith sa vie, ses travaux, ses doctrines.djvu/176

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ploie, il ajoute une beaucoup plus grande valeur au produit annuel des terres et du travail du pays, à la richesse et au revenu réel de ses habitants. De toutes les manières dont un capital puisse être employé, c’est sans comparaison la plus avantageuse à la société. »


Cette partie de la doctrine de Smith est absolument erronée. Ce n’est pas seulement dans le travail agricole que la nature travaille conjointement avec l’homme : l’air et l’eau sont les auxiliaires puissants d’un grand nombre de manufactures ; les voies naturelles de communication ont seules rendu possibles les progrès du commerce, et partout les agents physiques viennent seconder l’homme dans l’œuvre de la production. En quoi consiste d’ailleurs le travail ? Dans le rapprochement raisonné de deux objets : l’action de l’homme se borne à ce rapprochement, et la nature agit seule ensuite. Smith a parfaitement saisi ce rôle tout puissant de la nature dans la production agricole, mais il n’a pas poussé assez loin l’analyse en ce qui concerne les autres industries, car il aurait reconnu que, sous une forme un peu plus complexe, le mode de production est toujours le même et que le rôle de l’intelligence humaine servie par les muscles se borne au mouvement. « Dans la production matérielle, a dit fort justement M. Baudrillart[1], qu’est-ce que l’homme apporte ? En dernière analyse, il n’apporte qu’une chose, le mouvement. Il ne fait rien que de mouvoir un corps vers un autre. Il meut une graine vers le sol, et les forces naturelles de la végétation produisent nécessairement une racine, un tronc, des fleurs, des fruits. Il meut une hache vers un arbre, et l’arbre tombe par la force de la gravitation. Il meut une étincelle vers le combustible, et celui-ci s’allume, fond ou amollit le fer, cuit les aliments, etc. Quand je verse un alcali sur un acide, à coup sûr je ne suis pas le véritable auteur du phénomène qui en résulte : tout ce que je fais, c’est de rapprocher deux substances. Entrez dans une manufacture, dans l’atelier le plus compliqué, vous verrez qu’en dernier résultat le travailleur le plus ignorant, comme le mécanicien le plus habile, n’a fait autre chose que de créer du

  1. Manuel, IIe partie, section I. ch. II, p. 72.