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à croire que leur intérêt consistait à ruiner tous leurs voisins ; chaque nation en est venue à jeter un œil d’envie sur la prospérité de toutes les nations avec lesquelles elle commerce, et à regarder tout ce qu’elles gagnent comme une perte pour elle. Le commerce, qui naturellement devait être, pour les nations comme pour les individus, un lien de concorde et d’amitiés, est devenu la source la plus féconde des haines et des querelles. Pendant ce siècle et le précédent, l’ambition capricieuse des rois et des ministres n’a pas été plus fatale au repos de l’Europe que la sotte jalousie des marchands et des manufacturiers. »

C’était là précisément l’élément le plus puissant de la haine séculaire qui divisait la France et la Grande-Bretagne, et l’adoption d’une politique douanière plus libérale eût pu être une cause d’apaisement entre les deux pays. William Pitt, lecteur assidu et admirateur de Smith, tenta cette réforme, et sans les graves événements qui ne devaient pas tarder à se dérouler sur la scène de l’Europe, le traité de commerce signé entre les deux pays le 26 septembre 1786 eût peut-être marqué, malgré ses imperfections, une ère nouvelle dans les rapports des deux peuples : « Je n’hésite pas à m’élever contre cette opinion trop souvent exprimée, s’écriait ce grand homme d’État[1] en défendant le traité à la Chambre des Communes, que la France est et doit rester l’ennemie irréconciliable de l’Angleterre. Mon esprit se refuse à cette assertion comme à quelque chose de monstrueux et d’impossible. C’est une faiblesse et un enfantillage de supposer qu’une nation puisse être à jamais l’ennemie d’une autre. »

Smith a insisté tout particulièrement sur ce point de vue élevé de la solidarité commerciale des nations, et on ne saurait trop citer de ces passages qu’inspirent à l’auteur la plus saine doctrine économique et un amour véritable de l’humanité. « Si l’opulence d’une nation voisine, dit-il[2], est une chose dangereuse sous le rapport de la guerre et de la politique, certainement sous le rapport du commerce, c’est une chose avantageuse. Dans un temps d’hostilité, elle peut mettre nos ennemis en état d’entretenir des flottes et des armées supérieures aux nôtres ;

  1. William Pitt et son temps, par lord Stanhope, trad. Guizot (t. I, p. 332).
  2. Rich., liv. IV, ch. III (t. II, p. 90).