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plusieurs cas ce mode de taxation ; mais on est forcé d’admettre qu’il reste au moins certaines dépenses qu’il n’est pas possible de spécialiser. Comment pourrait-on répartir, par exemple, les charges des armées, de la marine, de la police, qui forment la partie la plus considérable du budget de l’État ? Sur quelles bases pourrait-on répartir surtout les charges de la dette publique et déterminer la part de chacun dans l’établissement de cette dette, dans les fautes ou les malheurs de l’État ? Dans cet ordre d’idées, on se heurte donc à chaque instant à des impossibilités, et tous les gouvernements ont dû, en conséquence, recourir plus ou moins au principe de la solidarité nationale et rechercher une présomption qui déterminât approximativement la part de protection et de responsabilité de chaque citoyen.


Quelle doit être cette présomption ? Les citoyens ne profitent-ils des avantages sociaux qu’en proportion de leur avoir dans la société, ou bien en profitent-ils dans une plus large mesure ? Selon que l’on adoptera la première manière de voir ou bien la seconde, la justice commandera, soit de répartir les charges publiques entre les citoyens au prorata de leurs revenus, soit de prélever une proportion plus ou moins forte de ces revenus suivant qu’ils sont plus ou moins considérables. Aussi c’est là une des plus graves questions que puisse se poser le législateur, question primordiale, non seulement au point de vue doctrinal, mais encore au point de vue économique et financier.

Nous aurions donc été heureux de connaître, en cette délicate matière, l’opinion d’Adam Smith, mais les Recherches ne nous donnent à cet égard aucun renseignement précis. Si l’on prend à la lettre les termes mêmes de sa première maxime, le philosophe écossais semble partisan de l’impôt proportionnel puisqu’il dit « que les sujets d’un État doivent contribuer au soutien du gouvernement, chacun le plus possible en proportion de ses facultés, c’est-à-dire en proportion du revenu dont il jouit sous la protection de l’État ». Mais une lecture attentive de l’ensemble du cinquième livre le montre aussi, d’autre part, disposé à admettre parfois une certaine progression ; il trouve fort juste, par exemple, que, même dans une taxe spéciale pour l’entretien des routes, les voitures de luxe soient taxées un peu plus que leur