Page:Delatour - Adam Smith sa vie, ses travaux, ses doctrines.djvu/67

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éclairé, il n’eût pas eu l’idée de rechercher ainsi et de signaler, dans une forme regrettable et blessante, cette contradiction imaginaire entre les doctrines de l’économiste et les actes de l’homme privé. Mais il est tombé dans l’erreur commune à tous ceux qui n’ont pas lu les Recherches dans leur entier : tous se représentent Adam Smith comme un ennemi déclaré des taxes douanières. Or il n’en était rien, et ceux qui connaissent son chapitre des impôts savent que si le célèbre économiste repoussait les droits de douane en tant que moyens protecteurs, il les recommandait du moins comme moyens fiscaux, estimant que, s’ils sont bien compris et modérés, ils peuvent fournir à juste titre une partie considérable du revenu de l’État[1].

Pour notre part, loin de considérer l’acceptation des fonctions de commissaire des douanes comme un démenti officiel donné par le philosophe aux principes qu’il avait professés sur la liberté des échanges, nous croyons plutôt que Smith a dû choisir cet emploi de préférence à tout autre, espérant, à tort peut-être, que cette situation lui permettrait de réaliser de nombreuses améliorations de détail dans cette partie de l’administration fiscale de son pays, et de préparer ainsi la voie aux grandes réformes par une application libérale de la législation existante qu’il eût été imprudent de bouleverser brusquement.

Tout ce que l’on peut dire, c’est que l’ancien professeur de Glasgow était bien peu préparé à une situation de ce genre, car il n’avait jamais été mêlé, dans la pratique, à aucune besogne financière, et celui qu’on chargeait ainsi de gérer les affaires de l’État n’aurait peut-être pas été capable de gérer les siennes propres. Il fallait là des qualités d’ordre, de précision, de vigilance, qu’on eût trouvées plus facilement dans un médiocre comptable que dans ce penseur méditatif dont les hautes vues théoriques étaient d’une application bien restreinte dans son nouvel emploi. D’autre part, on le sait, ses distractions étaient phénoménales, et sir Bagehot rapporte que c’est dans l’exercice de ses nouvelles fonctions qu’il étonna si fort un de ses su-

  1. Rich. des Nations, II, p. 578, 581 et 582.