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semée d’aventures grandes et merveilleuses. Ces deux aspects plaisent à l’imagination et ils embellissent toutes les descriptions dans lesquelles on les lui présente. La passion des jeunes gens pour la poésie pastorale qui décrit la vie indolente des bergers, et pour les romans et les livres de chevalerie tout remplis d’aventures étranges et périlleuses, est l’effet d’un goût naturel à l’homme pour ces objets disparates et en apparence incompatibles. Nous nous attendons à les trouver réunis dans la description des mœurs des sauvages. Aussi, jamais auteur n’a-t-il traité ce sujet sans exciter la curiosité. M. Rousseau, qui avait à cœur de peindre la vie sauvage comme la plus heureuse de toutes, ne nous la représente que sous le point de vue de l’indolence. Il l’orne, à la vérité, des plus riches couleurs et lui prête les charmes d’un style élégant et soigné, mais toujours nerveux et quelquefois sublime. C’est à l’aide d’un tel style, joint à un peu de chimie philosophique, que les principes et les maximes perverses de Mandeville semblent acquérir ici la pureté et la hauteur de la morale de Platon, et qu’on n’y voit plus que l’empreinte du caractère républicain poussé peut-être à l’excès. »

C’est par J.-J. Rousseau que Smith termine cette revue du mouvement philosophique. Mais, bien qu’il ne veuille pas parler des poëtes, de crainte d’être entrainé trop loin, il tient néanmoins à saluer dans Voltaire « le génie le plus universel peut-être, que la France ait jamais produit » et qui « paraît, d’un commun aveu, être, presque en tout genre, sur la même ligne que les plus grands écrivains du siècle dernier qui se bornèrent à un seul. »

Dans tout cet article, Adam Smith ne s’est occupé, en somme, que de la littérature française, quoiqu’il ait annoncé qu’il voulait signaler au public écossais le mouvement intellectuel de l’Europe en général. C’est que la littérature de la France formait à elle seule la littérature de toute l’Europe, ou au moins de tout le continent, et le jeune philosophe l’avait reconnu formellement dès les premières lignes de son étude. « Les sciences, il est vrai, disait-il, sont répandues dans toute l’Europe, mais ce n’est qu’en France et en Angleterre qu’on les cultive avec assez de succès pour exciter l’attention des nations