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timents moraux, et nous avons dit avec quel succès[1]. C’était la première partie du vaste plan que Smith avait conçu ; il avait senti que le véritable point de départ d’une Histoire de la Civilisation doit être l’étude de la nature humaine et il s’était efforcé de démontrer comment l’homme né, selon lui, avec un petit nombre de facultés, était parvenu à en acquérir de nombreuses et de puissantes.

Adam Smith était un disciple convaincu de la philosophie morale d’Hutcheson. Il avait suivi les cours du maître à Glasgow, s’imprégnant fortement de sa doctrine et surtout de sa méthode, la méthode expérimentale appliquée à l’homme ; comme lui, il était persuadé que l’on ne peut fonder la science de l’âme sur des hypothèses et sur des raisonnements métaphysiques, et qu’en cette matière il faut nécessairement procéder par l’observation du moi. Toutefois, en appliquant cette méthode et en considérant la nature du cœur humain, il n’était pas arrivé absolument au même résultat que l’éminent fondateur de l’école écossaise, qui avait établi son système sur la bienveillance, et il avait cru rencontrer un sentiment prédominant dans la sympathie qui nous fait partager les peines et les joies de nos semblables. Hutcheson avait cependant examiné la sympathie comme les autres sentiments, mais il avait trouvé qu’elle ne rend pas suffisamment compte de tous les faits moraux[2]. Smith ne partageait pas cet avis et il entreprit de démontrer que la sympathie est, plutôt que la bienveillance, le vrai mobile de nos actes : ce fut là le but de son livre.

Il ne se sépare pas, à l’égard des principes mêmes, de la doctrine de son ancien maître : comme lui, il voit dans le sentiment le fondement de la morale, mais il ne s’arrête pas à le démontrer, il considère que la preuve est suffisamment faite par les ouvrages d’Hutcheson, et toute son étude se borne au choix du sentiment. Aussi, dès les premières lignes de sa Théorie, il expose la tendance sympathique qui est en nous : « Quelque degré d’amour de soi qu’on puisse supposer à l’homme, il y a évidemment dans sa nature un principe d’intérêt pour ce qui

  1. 1re partie, ch. II, p. 17.
  2. Hutcheson. Systèmes de philosophie morale, t. I, liv I, ch. 3 §5.