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Mais il n’est pas d’azur qu’un voile n’obscurcisse,
Pas d’océan qui garde un flot toujours uni,
Pas de mont orgueilleux qui n’ait son précipice,
Et pas d’heur qui ne soit par un malheur puni.

La tempête se forme, elle gronde, elle éclate :
C’est le mari qui vient, inattendu rival,
Sur sa part de butin poser sa lourde patte,
Et dire arrogamment : « Voici mon bien légal. »

Angèle de nouveau lui semble appétissante,
Et le vieux débauché sent croître dans son cœur
Quelques regains d’amour ; puis, raison très puissante,
Tout cet or gaspillé lui donne de l’humeur.

Lorsqu’une femme veut, en devançant la mode,
Rivaliser avec des filles de portier,
Quoi que vous en disiez, un mari c’est commode,
Pour payer la modiste avec le couturier,

Et voilà tout ! Après il serait malhonnête
Qu’il osât réclamer une faveur, ah ! fi !
Comme superbement en redressant la tête,
On vous l’écraserait d’un regard de défi.

Mais notre vieux baron avait une âme atroce,
Sous des dehors bénins. Il faisait le gros dos,
Le traître loup-cervier, mais sa griffe féroce,
Dès qu’elle se montrait, déchirait jusqu’aux os.

Cet homme positif vint donc trouver sa femme,
Et lui tint ce propos, en style de boursier :
— « Vous avez dépensé trois millions, Madame,
« C’est dix fois votre dot, et je suis le caissier