Page:Des Essarts - Les Voyages de l’esprit, 1869.djvu/257

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souffrance voulait l’homme tout entier pour elle, et la réflexion une fois de plus « décolorait l’action » (1). Une grande école de doute et d’anxiété avait été ouverte : fallait-il que toutes les générations y vinssent puiser la leçon du découragement précoce, et le type idéal devait-il être à jamais non plus Achille ou Rodrigue, mais YAutontimoroumenos ?

Le présent n’appartient plus à cette mélancolie arbitraire. Mais ne nous y trompons point : sa dictature ne fut pas sans honneur pour nos pères ; elle ne produisit à coup sûr ni des âmes mauvaises, ni des âmes médiocres. Pauvre puissance déchue, comme on t’a fait la guerre, et sottement et lâchement ! Encore si l’on t’avait combattue au nom de la vraie et mâle tristesse, mais c’est en invoquant les intérêts bourgeois, en suscitant les basses défiances ! Tu faisais l’homme grand mais faible. On t’a décrétée, condamnée, proscrite, non parce que tu le laissais faible, mais parce que tu le faisais grand.

Que de sottises et même de faux esprit l’on a dépensé contre ce qu’on appelait « la race de René » ! On n’a que trop réussi à la disperser, cette race infortunée et superbe. Que l’on voie aujourd’hui les générations intermédiaires, celles qui nous précèdent immédiatement. Oui ! les fils de René n’existent plus, mais quelle race les a remplacés ? Celle des âmes d’acier, sèches et dures, froidement éprises de jouissances, insatiables d’or, dédaigneuses de poésie, prêtes à tout faire et à tout subir. Voilà ceux que vous avez formés,

(1) Hamlet.