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m’entourer d’êtres, à ma volonté ! Déjà l’univers changeait devant moi, il me semblait que les vieux mystères qui se cachent au fond de tout, prenaient une parole pour s’expliquer d’eux-mêmes à mon intelligence ; je me crus associé au mouvement qui dirige et non plus emporté avec la foule, avec la poussière, avec la mort ! Comme j’étais avare de ce rayon glorieux ! Après l’avoir tant désiré, quand il courait attelé au char du soleil, je craignais de m’en servir, de ne le savoir pas appliquer, de mal allumer l’âme de ma statue encore inerte. J’allai à la statue, je pressai ces bras, ce visage, cette poitrine de matière compacte ; je travaillai et élevai encore son front, afin qu’il contînt les plus vastes idées ; je m’oubliai pour cet être qui allait exister, je le contemplai longtemps encore, silencieux comme lui, puis détournant la tête et approchant la flamme sacrée, je donnai la vie… Ô Jupiter ! c’était encore admirer ta puissance ; ma révolte n’était qu’un hommage rendu à la perfection de tes œuvres !

LE CHŒUR.

Mais ne vis-tu donc pas dans l’homme que tu créas la mesure de votre faiblesse à tous ?

PROMÉTHÉE.

Quand je crus terminée la fusion de la lumière vivifiante chez cet être devenu chair et action, j’osai me retourner. Oh ! dès lors commença mon châtiment ; je fus frappé sur le seuil de ma faute. Cet être avait la vie, il agitait les bras, mais son marbre s’était changé seulement en matière animée, sans qu’il coulât plus d’âme dans ce corps que dans le marbre tiré du bloc. Avec la chaleur j’avais créé le mouvement. Ma statue pouvait descendre de son piédestal et me suivre, sans savoir qu’elle me sui-