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moi, que dans ce monde les douleurs, ingénues ou coupables, se doivent regarder de loin, et qu’on ne se baisse pas sur les bords d’un vase empoisonné sans y laisser tomber sa vie. Craignez d’approfondir le jugement du Maître Éternel ; il y a peu de différence entre l’équité et l’aveugle emportement, et si l’être foudroyé se relève un instant pendant les dernières palpitations de son cœur, on ne peut l’accuser sans pitié, ni lui refuser des larmes à la place de son sang. Pour moi, cloué sur ma dure montagne et comme dans la tempête, je ne veux pas de pitié : je me la suis déniée. La longueur, la grandeur de ma détresse me l’ont rendue presque supportable, en renonçant à un avenir corrigé, je me suis interdit de maudire le présent inévitable. Jupiter s’est lassé ; ainsi je m’endormirais dans mon supplice uniforme, si la vigilante conscience ne s’agitait pas au centre de mon cœur.

LE CHŒUR.

La justice ne se rachète pas ; l’épée qui frappe ne sait pas guérir ; le temps ne relève pas ce qu’il a détruit. C’est au méchant à se haïr. Sorti de l’ordre du bien, il ne peut même plus désirer d’y rentrer. Par ce qu’il supporte, il se doute de ce qu’il a perdu, et plus son supplice est grand, plus devait être grande sa félicité sans les souillures dont il s’est couvert.

PROMÉTHÉE.

Ai-je assez vu de nuits se coucher sur la terre et lui donner leur mystérieux baiser de paix ! Tout s’enveloppait de voiles, tout se pénétrait de sommeil ; tout corps se livrait au repos, toute âme s’ouvrait aux songes fortunés, excepté mon âme, excepté mon corps. Je restais