Page:Des Roches - Les Missives.pdf/123

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25Depuis que j’ay cognu l’oysiveté si grande
Que l’âge paresseux de Saturne demande,
Il m’a pleu d’alumer d’un soucieux desir
Les peuples assoupis par un trop grand loisir.
Doncques je ne veux plus que les plaines fecondes
30Apportent tant de fruits, ny voir couler les ondes
De miel par les forests, ny ruisseler le vin.
Je ne suis envieux : un courage divin
Ne peut rien envier sur la race des hommes.
Mais la fertilité de ce temps où nous sommes
35Rend l’homme negligeant, engourdi, paresseux.
Il pense que les biens s’amassent tous par eux.
Or l’esprit hebeté par la grande abondance
Deviendra plus subtil espoint de l’indigence,
Qui luy fera chercher en mil & mille pars
40L’honneur de la science, & le profit des ars.
J’entends bien maintenant que la Mere nature
Se plaint de voir ma main & trop fiere & trop dure
Encontre ses enfans : & m’appelant cruel
Me reproche sans fin le bien continuel
45Du regne de mon pere : elle se pense riche,
Et moy peu liberal. Je ne veux voir en friche
Le champs mieux labouré, ny que les arbres vers
Recellent les doux fruits de leurs rameaux ouvers.
La terre des humains agreable nourrice
50Ne veut d’une merastre emprunter la malice.
Et je ne veux nomplus l’ensemencer de fiel,
Puis qu’ell’ espere en moy qui tiens l’ame du ciel.
Plusieurs sont demeurans dedans la Chaonie,
Recherchans aux bosquets une penible vie